Je viens de faire une nouvelle expérience des mécanismes qui permettent la diffusion de fausses nouvelles. Dans l’actualité religieuse des dernières semaines, je me livre à un suivi attentif de la crise qui frappe actuellement les Églises orthodoxes au sujet de l’Ukraine, avec la rupture de communion récemment intervenue entre le Patriarcat de Constantinople et le Patriarcat de Moscou. Je m’intéresse notamment aux prises de position des autres secteurs du monde orthodoxe autour de cette question. Depuis deux jours, j’ai vu apparaître des « informations » selon lesquelles la réunion des monastères du Mont Athos aurait pris position il y a quelques jours contre Constantinople dans cette affaire. Je ne doute pas du dilemme qui se pose dans cette situation aux moines de la Sainte Montagne, qui dépendent du Patriarche de Constantinople, mais n’approuvent certainement pas tous ses récentes initiatives. Toute information sérieuse à ce sujet est donc digne d’intérêt. Mais cette apparente nouvelle sensationnelle, qui devrait faire la une de tous les sites orthodoxes si elle était exacte, n’apparaît curieusement sur aucun site orthodoxe sérieux, n’est pas mentionnée par le site du Patriarcat de Moscou et n’est reprise par aucun site réputé d’information généraliste. Elle est relayée uniquement par quelques sites qui ne me semblent offrir aucune garantie.
Sur Facebook, je découvre l’information publiée par un petit groupe orthodoxe. Je crois bien faire en signalant que l’information me paraît suspecte et en exposant les raisons données ci-dessus. Au passage, je cite un article du New York Times qui fait allusion au dilemme posé par la situation aux moines athonites. Réaction immédiate pour m’expliquer que le New York Times est une source bien moins fiable et certainement pas l’endroit où il faut aller s’informer. Je n’essaie pas de contredire mon interlocutrice, mais je lui dis que la question n’est pas là : quoi que nous puissions penser du New York Times, mon propos est uniquement d’attirer l’attention sur une information suspecte et d’inciter à ne pas la propager sans vérification, alors que la situation est déjà assez confuse. La réponse ne se fait pas attendre : « J’ai demandé à plusieurs reprises qu’on me communique des liens vers des sites d’information qui réfuteraient cette nouvelle, et personne n’a été en mesure de m’en fournir un. En avez-vous un ? » Je réponds que, si une nouvelle fausse est publiée sur le site d’un grand média réputé, cela entraînera une réfutation, mais que personne ne peut s’épuiser à essayer de réfuter toutes les fausses informations sur des sites obscurs. C’est à elle de me fournir un lien vers un article d’un site sérieux qui confirme l’information. Mais elle n’en démord pas : non, même si aucun site sérieux n’en parle (y compris ceux qui auraient intérêt à le faire si l’histoire était vraie…), elle ne se laissera convaincre que par une réfutation. Comme si les moines athonites n’avaient que cela à faire…
Enfin, un autre lecteur arrive en fournissant un lien vers un article publié par un site orthodoxe russe qui met en garde, en écrivant non seulement l’information est fausse, mais en expliquant comment elle s’est propagée : un site russe aurait fait écho à des rumeurs, en évoquant une anonyme « source proche » de l’assemblée des monastères du Mont Athos. Cela aurait ensuite été repris par d’autres sites, en transformant ces rumeurs en une prétendue déclaration officielle des moines de la Sainte Montagne. Tout semble donc clarifié… sauf pour les responsables du groupe Facebook. L’administratrice explique qu’elle ne diffuserait jamais intentionnellement une fausse nouvelle, qu’elle a reçu cette information en la prenant pour argent comptant et qu’elle ne considère pas l’article expliquant le mécanisme de diffusion de la nouvelle comme une réfutation crédible. Le fait qu’aucun média sérieux ne reprenne l’information ne semble pas la troubler le moins du monde : apparemment, il y a des gens qui sont satisfaits de vivre dans leur propre bulle de « réalité parallèle » et n’ont pas envie d’en sortir. Avec les réseaux sociaux, cela devient même assez aisé. Et ainsi circulent informations douteuses ou même invraisemblables, mais auxquelles la reprise dans des réseaux de personnes partageant la même sensibilité finit par conférer une illusion de plausibilité. Bref : plus que jamais, soyons vigilants et gardons notre sens critique en éveil !