La surabondance de commentaires sur l’incendie de Notre-Dame de Paris a été telle que j’ai hésité à y ajouter même un bref billet. À peine avais-je commencé à l’écrire que j’ai, bien sûr, découvert d’autres articles aux angles d’approche semblables. « Alors que la cathédrale Notre-Dame de Paris, cœur battant de la capitale française brûlait, la sidération, l’incrédulité et l’effroi s’emparaient de la Toile et des réseaux sociaux », constatait ainsi Dominique Desaunay sur RFI (16 avril 2019) : « Un cri de douleur sur la Toile. » Quant au quotidien suisse Le Temps (17 avril 2019), il propose de pertinentes pistes d’analyse en interrogeant deux chercheurs, Emmanuel Monfort et Fabienne Martin-Juchat. Le premier observe « une contagion émotionnelle » et relève la démarche de « partager pour chercher le soutien de ses pairs, une quête d’empathie ». Fabienne Martin-Juchat souligne pour sa part la « nécessité sociale de verbaliser ses émotions auprès d’un collectif : c’est un signe de vitalité et d’appartenance au groupe ». Et d’ajouter : « C’est paradoxal, mais on a besoin du drame pour se sentir exister. En éteignant son téléphone, quelque part, on trahit la communauté. » La « déconnexion émotionnelle » serait ainsi rendue plus difficile.
Ce qui a retenu mon attention avant tout, ce sont les usages des réseaux sociaux. Comme beaucoup d’entre nous, j’ai passé quelques heures en allant de sites d’information à Twitter ou Facebook. J’ai remarqué deux principaux types d’attitudes.
La première était l’expression des sentiments face au choc du spectacle de Notre-Dame en flammes. De nombreux tweets ou posts n’apportaient aucune information, aucun éclairage sur l’événement. Ils se contentaient d’exprimer la tristesse et la consternation. Quand survient quelque chose de grave, partager devient souvent un besoin : nous disons notre joie ou notre peine ensemble. C’est d’ailleurs aussi le rôle des grandes cérémonies — rassemblant une foule… dans une cathédrale, par exemple — après un drame collectif. Les réseaux sociaux offrent une manière de plus d’exprimer ces sentiments : ils ne remplacent pas les autres modes d’expression ou les rassemblement physiques, mais viennent s’y ajouter, avec un élargissement sans précédent à la fois par son ampleur et par son instantanéité. Depuis la naissance d’Internet, on s’est souvent interrogé sur la réalité des communautés en ligne : sans les confondre avec les communautés physiques (qu’elles n’abolissent pas, mais complètent souvent), je suis depuis longtemps convaincu que ces communautés virtuelles ne sont pas superficielles : un événement tel que celui que nous avons vécu cette semaine montre comment se constituent en ligne des communautés émotionnelles, où nous retrouvons à la fois des gens que nous connaissons déjà (physiquement ou en ligne) et des inconnus.
La seconde attitude était celle de la réaction interprétative. Au pluriel, bien sûr : une multitude d’interprétations surgissant rapidement, après l’émotion initiale ou en même temps que celle-ci. Des avis sur l’événement et sa cause, avec toutes les déclinaisons possibles, y compris des soupçons ou des suggestions complotistes. Des commentaires sur les réponses à apporter, que ce soit pour combattre l’incendie ou pour réparer les dégâts (un débat qui ne fait que commencer, autour de la ligne à suivre pour une rénovation). Sans oublier les voix discordantes, agacées par l’émotion collective pour des raisons idéologiques ou par souci de rappeler qu’il existe d’autres sujets importants qui ne recueillent pas la même attention. Tandis que la communauté émotionnelle rassemble en ignorant les barrières idéologiques, l’approche interprétative réunit des publics autour de convictions déjà établies et à les constitue en communautés affinitaires — même si la navigation sur les réseaux sociaux expose fréquemment à d’autres points de vue et à d’autres interprétations. Comme pour la première attitude, cela représente une extension de ce que nous pourrions observer sans Internet et sans les réseaux sociaux. Mais elle permet de le faire de façon bien plus rapide et à une échelle considérablement plus vaste.