Quiconque a étudié les trajectoires de l’occultisme ou du spiritisme au XIXe siècle et au début du XXe siècle y a croisé les noms de savants parfois célèbres, intrigués par des phénomènes mystérieux ou doctrines en dehors des sentiers battus, dans des démarches où se mêlaient la curiosité de chercheurs, la conviction que la science pourrait parvenir à expliquer des faits encore énigmatiques et parfois des préoccupations plus intimes. Pour les spirites eux-mêmes, il n’y avait pas de contradiction entre leurs convictions et la science : le spiritisme lui-même se voyait scientifique. Tout ce qui paraissait relever du miracle finirait tôt ou tard par se trouver scientifiquement expliqué (Françoise Parot, « Honorer l’incertain : La science positive du XIXe enfante le spiritisme », Revue d’histoire des sciences, 57/1, janvier-juin 2004, pp. 33-63).
Parmi les scientifiques de renom intéressés par le spiritisme, on trouve Pierre Curie (1859-1906) et son épouse Marie Curie (1867-1934), qui reposent au Panthéon depuis 1995. Marie Curie fut la première femme titulaire de deux prix Nobel. La bande dessinée que vient de lui consacrer Olivier Roman, sur un scénario de Rodolphe, relate en images l’intérêt des époux Curie pour les phénomènes psychiques, à partir de 1905, en interaction avec d’autres figures scientifiques de leur époque. Sous le titre Marie et les Esprits (Éd. Anspach, 2023), cet ouvrage se présente comme une « fiction rigoureusement documentée ».
Entre 1905 et 1908, l’Institut général psychologique organisa trois séries de 13, 16 et 14 séances autour de la médium Eusapia Palladino (1854-1918). Grâce à Gallica (Bibliothèque nationale de France), on peut consulter et télécharger en ligne les comptes rendus de ces séances, avec de nombreuses illustrations. La bande dessinée met bien en scène tout le dispositif scientifique qui entourait ces séances, également pour prévenir toute fraude. Palladino se montra particulièrement disposée à se soumettre au désir expérimental de scientifiques : les effets physiques produits étaient souvent spectaculaires (tables se soulevant, etc.).
Comme le notait Christine Blondel, durant une vingtaine d’années, des savants français se passionnèrent pour le spiritisme (« Eusapia Palladino : la méthode expérimentale et la ‘diva des savants’ », in Bernadette Bensaude-Vincent et Christine Blondel, Des Savants face à l’Occulte, 1870-1940, Paris, La Découverte, 2002, pp. 143-171). À travers des dessins de qualité — et le dessin se prête bien à un tel récit — Olivier Roman ressuscite pour le plaisir de ses lecteurs un épisode de cette période.