Juste avant de lancer son action meurtrière et minutieusement planifiée, le 22 juillet 2011, Anders Breivik a envoyé son manifeste, intitulé 2083. A European Declaration of Independence, à des milliers de correspondants par voie électronique. Durant des semaines, il avait laborieusement recueilli — à travers des demandes d’amitié sur Facebook — les adresses de courriel de personnes lui paraissant potentiellement sympathiques à ses idées (anti-islamisme, anti-marxisme, anti-multiculturalisme). Ainsi, agissant en solitaire, le terroriste pouvait assurer à la fois l’exécution de l’attentat et l’opération de relations publiques pour faire connaître ses idées: le volumineux manifeste (1516 pages) a très vite commencé à circuler et se trouve aujourd’hui accessible sur des nombreux serveurs. Ce manifeste contient également des photographies destinées à diffuser une image avantageuse de Breivik: cela faisait partie aussi de sa stratégie de communication, explique-t-il dans un passage de 2083.
Ce n’est pas seulement pour cela que Breivik est un terroriste de l’âge d’Internet. Breivik n’a pas passé de longues heures dans les rayons des bibliothèques, mais devant son écran. Ses convictions se renforçaient à la lecture d’une nébuleuse de blogs anti-islamistes, tels que Gates of Vienna ou The Brussels Journal. Tous ceux qui ont examiné le manifeste l’ont noté, et Breivik l’admet lui-même: une grande partie du contenu provient de nombreux autres auteurs, repris tels quels ou remaniés, référencés ou non — à l’heure où même les doctorats de politiciens allemands sont en partie le produit d’une démarche copier/coller, il n’est pas surprenant que Breivik ait procédé de même. Ne nous étonnons pas de l’éclectisme des éléments rassemblés autour des axes idéologiques principaux de Breivik pour donner une armature à ceux-ci: nous nous trouvons face à un manifeste terroriste qui est le produit de la logique des hyperliens.
Et voici que le combat se poursuit… en ligne! Je ne pense pas ici avant tout aux controverses autour de l’éventuelle responsabilité morale de certains sites islamocritiques, ni aux commentaires (parfois compréhensifs…) qui fleurissent sur les actes et motivations de Breivik, mais à l’annonce de la contre-offensive du collectif de hackers Anonymous, qui appelle à altérer le document et à en multiplier les versions en ligne, par l’ajout de parties grotesques, au point de noyer la version originale dans un océan de parodies.
Je signale au passage les deux articles que j’ai publiés sur Anders Breivik: Attentats en Norvège: idéologie et motivations du terroriste (25 juillet) et Terrorisme en Norvège: la religion d’Anders Breivik (28 juillet).