Le dernier bilan de l’attaque terroriste du 15 mars 2019 contre deux mosquées de Christchurch, en Nouvelle-Zélande, atteint 50 morts et presque autant de blessés. Inévitablement, des questions surgissent sur les similitudes avec d’autres actes de terrorisme, à commencer par ceux de djihadistes de diverses obédiences, qui jalonnent constamment l’actualité depuis une vingtaine d’années. À vrai dire, pour un historien du terrorisme, le « modèle » qui vient d’abord à l’esprit est celui du massacre commis en février 1994 dans une mosquée d’Hébron par le colon terroriste juif (et médecin) Baruch Goldstein (1956-1994) : 29 morts, 125 blessés. Mais ce n’était pas la référence de Brenton Tarrant, le terroriste de Christchurch : sa principale inspiration était le Norvégien Anders Breivik (2011), dont les cibles étaient séculières. Il mentionne cependant — soit dans son manifeste, soit en ayant écrit leurs noms sur ses chargeurs — d’autres auteurs d’actes de terreur contre des lieux de culte (outre des terroristes ayant choisi des cibles non religieuses) : Dylann Roof, qui avait tiré sur des Noirs dans une église chrétiennne en Caroline du Sud en juin 2015 (9 morts, 3 blessés), Alexandre Bissonnette, auteur de l’attaque contre la grande mosquée de Québec en janvier 2017 (6 morts, 8 blessés) et Darren Osborne, qui avait volontairement lancé son véhicule contre des musulmans qui quittaient une mosquée londonienne en juin 2017 (1 mort, 10 blessés).
Tarrant est-il un « terrroriste chrétien » ? Non. Dans son texte, The Great Replacement, dont j’ai proposé une analyse critique, ses convictions religieuses semblent assez vagues, et il déclare lui-même ne pas savoir s’il se considère ou non comme chrétien. Le manifeste se termine à la fois par « Dieu vous bénissse » et par « Je vous reverrai au Valhalla », ce qui peut relever de formules convenues et révèle des sources éclectiques. C’est la principale différence par rapport aux djihadistes, qui justifient leurs actes par une doctrine religieuse, indépendamment de leur degré de connaissance de celles-ci : les théoriciens du djihadisme s’efforcent de fournir des arguments islamiques pour légitimer leur violence. Mais si le discours de Tarrant et de ses pareils n’est pas religieux, il renvoie aussi à des préoccupations ultimes, à des circonstances impérieuses qui autorisent la violence : dans le cas de Tarrant, il s’agit de la race blanche, menacée de « grand remplacement » par une immigration allogène et par la fécondité des populations extra-européennes. En effet, comme les djihadistes, Tarrant place « les siens » en position de victimes potentielles et suggère une interprétation défensive de ses actes, déclinés sur le mode d’une reconquête plus que d’une offensive.
À l’instar des djihadistes et autres militants islamistes, Tarrant veut aussi s’inscrire dans une histoire longue, quand il mentionne par exemple les « 1300 ans de guerre et de dévastation » causés par l’islam. Sur ses chargeurs, il ne se réfère pas seulement à des figures contemporaines, mais aussi à des guerriers et batailles contre des troupes musulmanes, remontant à plusieurs siècles et lui donnant le sentiment de s’inscrire dans une longue lignée de preux résistants aux vagues musulmanes sur tout le continent. Ce n’est peut-être pas une guerre cosmique, mais cela donne le sentiment d’un affrontement sans fin entre des civilisations inconciliables. Tarrant partage avec les djihadistes la conviction que le « choc des civilisations » n’est pas simplement une thèse de politologue, mais une réalité pérenne qui ne peut trouver d’issue que dans la résolution implacable de guerriers s’engageant dans un combat à mort. Tout cela mis en scène sur fond d’Internet, qui joue pour les uns et les autres un rôle crucial en tant que source d’information, moyen de communication et canal de propagande.