Le bus vient de me passer sous le nez. Ce n’est pas grave, il est 18h et il en viendra un autre bientôt. Il fait nuit déjà, en cette saison à Fribourg, mais la pluie s’est interrompue. Je vois arriver une dame, qui va regarder le panneau affichant les horaires. Je lui demande si le prochain arrivera bientôt ? « Il y en aura jusqu’à 23h ! », me répond-elle sur un ton enjoué. Et moi de lui répondre : « Oui, mais je préférerais rentrer chez moi avant ! » Une petite conversation s’engage. À une banale remarque sur la pluie, mon interlocutrice m’explique : « Chez nous, quand il pleut fort, on dit qu’il pleut à boire debout ! » – « Et c’est où, chez vous ? » – « Au Québec. »
Elle n’avait presque pas d’accent, je n’avais pas remarqué. Nous poursuivons notre conversation, tandis que le bus approche, en parlant des savoureuses expressions québécoises, souvent venues du vieux français. Elle me raconte qu’il existe une autre expression répandue au Québec pour dire que la pluie tombe drue : « mouiller à siaux » (ou sieaux), c’est-à-dire pleuvoir comme l’on vidait des seaux.
De retour chez moi, je vais y regarder de plus près. Et le Wiktionnaire me rend service, puisqu’il m’apprend que, « comme dans beaucoup d’expressions québécoises, il s’agit d’une prononciation conservée dans certains parlers d’oïl des provinces de l’ouest de la France, surtout dans le milieu paysan. Le siau se retrouve également dans les langues créoles des Antilles françaises notamment mais aussi à Sainte-Lucie. »
Quant à « pleuvoir à boire debout », j’ai eu plus de mal à comprendre. Mais le site Affaires de Gars m’a apporté l’explication : « En fait, ça signifie que la quantité d’eau qui tombe du ciel est telle qu’on pourrait boire seulement en levant la tête au ciel ; on pourrait boire debout ! » J’ignore si l’expression est ancienne ou plus récente. Le même site me révèle, en revanche, que l’usage du mot mouiller pour dire pleuvoir serait attesté dans la langue française dès le XIIIe siècle.
Si la conversation s’était poursuivie, peut-être aurais-je encore appris d’autres expressions québécoises — car il paraît qu’on y dit aussi « pleuvoir comme une vache qui pisse », au risque de rentrer « trempé à la lavette ».
Post-scriptum – Deux lecteurs attentifs, Magali Jenney et Stéphane Tinguely, m’apprennent que l’expression « pleuvoir comme une vache qui pisse» est également répandue dans les campagnes suisses et est mentionnée dans l’article Pleuvoir du Dictionnaire de l’Académie française. Stéphane Tinguely ajoute une intéressante observation : quand il lui arrive de se trouver dans des régions rurales de la France, l’usage de telles expressions circulant dans le monde paysan en Suisse aussi font tomber certaines barrières, créant « comme un code, un lien », remarque-t-il.