Nous en avons tous fait l’expérience : nous entendons une personne parler dans une langue exotique que nous ne connaissons pas, et nous avons l’impression qu’elle est en colère contre son interlocuteur, ou qu’elle exprime d’autres émotions — à cause de la force de la voix ou du ton utilisé. Souvent, pourtant, nous constatons qu’il n’en est rien : d’une langue à l’autre, le ton varie. Le ton désigne à la fois la qualité sonore d’une voix (sa hauteur, son intensité…) et les sentiments que celle-ci révèle. Un ton moqueur ou inquiet n’est pas le même. Mais si nous le saisissons dans notre langue maternelle ou dans d’autres langues proches ou familières, nous nous trompons vite quand il s’agit d’une langue qui ne nous offre aucun repère.
Il y a quelques jours, je me trouvais en Finlande. La plupart des langues européennes me permettent d’identifier certains mots grâce à la proximité avec l’une des langues que je comprends. Je l’ai constaté encore en Finlande, en regardant des inscriptions bilingues en finnois et en suédois : grâce à l’allemand, je parvenais à identifier plusieurs mots suédois. Guère de succès pour les textes en finnois, en revanche. Ils sont aussi hermétiques qu’une langue d’un autre monde. Au moins, le ton et les expressions faciales ne déconcertent pas trop le visiteur européen.
Mais quand il s’agit de langues asiatiques… À midi, j’ai mangé dans un restaurant tenu par des personnes d’origine ethnique chinoise. Les clients étant rares, les employés avaient renoncé au fond musical pour écouter une chaîne de radio chinoise. Dérangé dans ma lecture, j’ai commencé à écouter. Une femme était en train de parler, sur un ton qui me semblait comminatoire, mais ne l’était peut-être nullement pour des auditeurs chinois. Il ne semblait en tout cas ni inquiéter ni galvaniser les tenanciers du restaurant. Et je me suis rendu compte que, sans comprendre ce que signifiait le ton utilisé, je n’arrivais pas à deviner si la voix féminine lisait un bulletin de nouvelles, expliquait une recette de cuisine, racontait un épisode d’histoire ou exhortait ses compatriotes à suivre la ligne du parti vers l’avenir glorieux du socialisme de marché…