“Autrement, que feraient ceux qui se font baptiser pour les morts? Si les morts ne ressuscitent absolument pas, pourquoi se font-ils baptiser pour eux?” (1 Corinthiens 15:29) Cet énigmatique passage d’une épître de l’apôtre Paul est à l’origine d’une pratique de l’Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours (dont les membres sont communément appelés “mormons”): selon les instructions qu’aurait reçues par révélation Joseph Smith (1805-1844), le premier prophète du mouvement, des fidèles se font baptiser par procuration pour des défunts (les hommes pour les défunts masculins, et les femmes pour les personnes de leur sexe). En effet, selon la foi des saints des derniers jours, les défunts ont la possibilité de se convertir après leur mort, mais le baptême doit être reçu par une personne dans son corps, ce que rendent possible les baptêmes par procuration (que le défunt est supposé pouvoir accepter ou non). Le “baptême pour les morts” est pratiqué dans les temples mormons, des lieux destinés à des cérémonies sacrées et accessibles seulement aux fidèles actifs dans l’Église. Cette pratique est aussi à la racine de l’énorme travail de recherche généalogique accompli par les mormons.
Dans son dernier numéro, le Journal of Mormon History (39/4, automne 2013), publié par la Mormon History Association (MHA), propose un intéressant article de Ryan G. Tobler, un chercheur qui prépare une thèse de doctorat à l’Université de Chicago. Intitulé “«Saviors on Mount Zion»: Mormon Sacramentalism, Mortality, and the Baptism for the Dead” (pp. 182-238), cet article replace l’émergence de la croyance et de la pratique du baptême pour les morts dans le contexte des premières décennies du mormonisme.
Tobler souligne l’importance des “rituels salvateurs” pour les mormons. Quand Smith prêcha cette doctrine en 1840, dans une période très fertile en innovations doctrinales dans le mouvement, ses auditeurs furent vivement impressionnés par cette “glorieuse vérité”: l’espoir du salut s’ouvrait même à ceux qui n’avaient jamais eu l’occasion d’entendre le message. Smith lui-même réfléchissait depuis longtemps à cette question, déjà depuis le décès sans baptême d’un de ses frères en 1823. Nombre de ses contemporains, aux États-Unis, étaient insatisfaits de l’idée de la damnation éternelle de ceux qui n’avaient pas reçu la foi chrétienne: les doctrines universalistes, selon lesquelles tous seraient finalement sauvés, trouvaient des oreilles bien disposées, rappelle Tobler. Apportant une réponse à des angoisses et questions existentielles, la pratique du baptême pour les morts — d’abord pour les membres défunts des familles des fidèles, puis pour leurs amis, avant de s’élargir — se répandit rapidement. Pour les mormons confrontés à la mort de leurs proches, le baptême pour les morts apportait une profonde consolation et ramenait l’espoir.
Beaucoup plus que les élaborations théologiques sur la nature divine, observe Tobler, ce qui attira le plus profondément les mormons, à cette époque, fut la grandiose perspective de liens familiaux et amicaux destinés à se poursuivre dans l’éternité, grâce à d’autres pratiques salvatrices, telles que le “scellement” de mariages pour l’éternité. Le baptême pour les morts s’inscrivait dans un ensemble plus large. Selon Tobler, ces doctrines apportées par Joseph Smith étaient perçues à la fois comme une délivrance et une possibilité pour chacun d’apporter une contribution aux desseins divins: à travers le baptême pour les morts, les croyants participaient au travail de rédemption de l’humanité. Finalement, pourrait-on ajouter, pour le mormonisme comme pour toute religion, la capacité d’apporter une réponse aux questions liées à notre finitude contribue grandement au succès ou à l’échec d’un message.