Je connaissais l’auteur, mais pas son ouvrage: il y a quelques jours, à Metz, en attendant d’aller donner un cours à des étudiants de l’Université, j’ai passé quelques minutes dans une librairie; j’y ai découvert le nouveau livre de Jean-François Chemain, Kiffe la France.
L’itinéraire de Jean-François Chemain est peu commun. Consultant, puis cadre dirigeant dans un grand groupe industriel français, une redécouverte de la foi (catholique) entraîne un bouleversement de toute son existence et une réorientation radicale. Il décide de devenir enseignant, passe les concours et, depuis 2006, enseigne — par choix personnel — dans un collège de “zone d’éducation prioritaire”, c’est-à-dire une banlieue difficile.
Convaincu que “Dieu n’a pas déserté la banlieue” (p. 232), il croit à sa tâche d’enseignant, même s’il n’en cache pas les difficultés, et explique pourquoi se mettre au service des “jeunes de banlieue” est un enjeu non seulement pour l’avenir des intéressés, mais pour celui du pays où ils grandissent, et de sa paix sociale.
L’intérêt de ce livre, c’est que Jean-François Chemain aime ses élèves et le métier qu’il a commencé à exercer à l’âge de 45 ans, mais qu’il ne nous cache rien de la réalité rencontrée au quotidien, avec ses aspects tendres, drôles, décourageants ou (très) durs. Pour ceux d’entre nous sans expérience de cet environnement, il y a de quoi éprouver quelque effarement: je vous laisse lire l’ouvrage pour découvrir tout cela “sur le vif”, car les nombreuses anecdotes relatées par Jean-François Chemain ne sauraient être résumées.
Mais il y a aussi des constats qui ont retenu mon attention, notamment celui de “l’islamisation fulgurante de la banlieue”, touchant également les résidents non musulmans: pas avant tout sur le mode d’un édifice théologique, bien sûr, mais plutôt d’une référence identitaire et d’une certitude de supériorité, même si elle n’efface ni des barrières nationales ou ethniques (par exemple entre Turcs et Arabes) ni des ambiguïtés quant à l’attitude envers les pays d’origine des élèves immigrés. Les récits partagés par Jean-François Chemain sur les discours et perceptions qu’il rencontre (y compris la réceptivité de ses élèves à des théories pour le moins discutables) fournissent matière à réflexion, et pas seulement pour ceux qu’intéressent les questions d’enseignement.
Jean-François Chemain, Kiffe la France, Versailles, Via Romana, 201, 236 p. – Pour ceux qu’intéressent les expériences des enseignants aujourd’hui, je recommande également la plaisante et stimulante lecture du livre d’un maître secondaire avec trente ans d’expérience dans un contexte assez différent de celui de Jean-François Chemain, puisque Jean-Blaise Rochat enseigne dans le canton de Vaud, en Suisse: Lettre aux parents de mes élèves. Juvenilia, Lausanne, Cahiers de la Renaissance Vaudoise, 2011, 138 p.