En ce premier jour de l’an, excursion à Mariastein, considéré comme le deuxième lieu de pèlerinage de Suisse par sa fréquentation. Située non loin de Bâle, sur territoire soleurois, l’Abbaye de Notre Dame de la Pierre est occupée par des bénédictins, dont l’accueil des pèlerins est l’une des principales missions. Le cœur de Mariastein, comme me le dit l’un des moines, est la chapelle de Notre Dame de la Consolation, dans une grotte, sur le flanc de la falaise derrière l’église, à laquelle le pèlerin accède par un long escalier intérieur. Dans une ambiance recueillie et une lumière tamisée, le visiteur est accueilli par la “Vierge au sourire”, statue de pierre peinte du XVIIe siècle. “Celui qui quitte Mariastein sans être allé dans cette chapelle n’est pas venu à Mariastein”, me fait remarquer le moine.
En ce jour férié, parmi les pèlerins, on peut voir de nombreux Tamouls, souvent venus en famille, à la piété fervente. Une partie sont chrétiens, mais pas tous: comme dans d’autres sanctuaires mariaux en Europe, les exilés du Sri Lanka trouvent à Mariastein un haut lieu où peuvent s’exprimer leurs prières et leur sensibilité religieuse. Les affiches d’information sur Mariastein relèvent d’ailleurs que ce site attire aujourd’hui aussi des visiteurs “d’autres origines et d’autres religions”.
Plusieurs sections du couloir et des escaliers d’accès à la chapelle de Notre Dame de la Consolation sont couverts d’ex-voto, remerciant la Sainte Vierge pour une grâce ou un secours reçu dans des circonstances parfois dramatiques: par exemple une plaque de 1948, qui remercie d’avoir été préservé d’un grave accident d’avion, avec une représentation d’hélice brisée qui indique à quel péril le fidèle a échappé. Certains ex-voto datent de plusieurs décennies déjà, mais beaucoup sont récents. Aux formules en allemand (“Maria hat geholfen”, Marie est venue en aide, ou à mon secours) ou en français s’ajoutent de plus en plus de plaques en espagnol, en portugais, dans des langues d’Europe orientale, et d’autres encore — j’en ai même repéré une en turc. Et, bien entendu, des ex-voto en caractères tamouls ou signés d’un nom tamoul.
Mon attention a été attirée par une plaque en bon allemand, datant des années 2000, car son sobre texte contrastait avec les formules de piété chrétienne: “Die universelle Göttlichkeit hat geholfen”, la Divinité universelle (m’)a aidé. Je ne me suis jamais livré à une étude sur les ex-voto, mais, quand je visite un sanctuaire qui en contient, je passe toujours un petit moment à les regarder. Le cas n’est certainement pas unique: pourtant, je ne me souvenais pas d’avoir vu dans un lieu de pèlerinage marial un ex-voto ne se référant ni à la piété chrétienne ni à une piété d’une autre tradition religieuse, mais à ce qui me semble être un exemple de religiosité occidentale postchrétienne.
Et dans la chapelle de Notre Dame de la Consolation, je me suis dit que, même si un jour la foi chrétienne ne devait plus rassembler qu’une petite minorité de la population de ce pays, des lieux de pèlerinage comme Mariastein continueraient sans doute de voir défiler un flux quotidien de pèlerins, même non chrétiens, en quête de réponses à leurs questions, de secours à leurs détresses, ou tout simplement d’un moment de recueillement dans un site sacré.