Cinéaste appréciée pour ses documentaires sensibles et de qualité, Jacqueline Veuve est décédée le 18 avril 2013, à l’âge de 83 ans. Comme nombre d’entre nous, elle avait (depuis 2004) son site personnel, trilingue, qui présentait sa biographie et son œuvre. Mais quelques mois seulement après la disparition de celle à laquelle il était consacré, le site jacquelineveuve.ch a trouvé un nouveau propriétaire.
En raison du non renouvellement de la taxe annuelle permettant de maintenir la propriété d’un nom de domaine, jacquelineveuve.ch a expiré la nuit dernière, à 1h01, selon les données que j’ai pu trouver. Mais pas pour longtemps: à 1h46, le nom de domaine était enregistré par un nouveau propriétaire, Martin B…, qui réside à Zurich.
Rien d’illégal et rien de répréhensible: la règle est celle du premier venu, premier servi. Sauf s’il s’agit d’une marque déposée, quiconque le souhaite – et est le plus rapide pour le faire – peut acheter un nom de domaine encore libre ou venu à expiration. Il est vrai que le fonctionnement du registre Switch, qui gère les noms de domaine dans l’extension .ch, ne facilite pas la tâche de ceux qui souhaitent conserver la propriété d’un nom de domaine à long terme. L’acheteur d’un .com et de noms de domaine dans nombre d’autres extensions peut enregistrer ceux-ci pour dix années, voire plus. Dans le cas de l’extension .ch, en revanche, l’"achat" (qui correspond plutôt à une location) est limité à une année, avec renouvellement annuel quelque temps avant l’expiration. Cela ne permet pas de prendre ses précautions en réservant le nom pour une période plus longue.
Pourquoi Martin B… l’a-t-il acheté? Je n’en sais rien: peut-être pour le revendre, mais plus probablement en raison du trafic et du bon référencement de ce site web, auquels renvoient la notice de Wikipedia sur Jacqueline Veuve et d’autres sites. Grâce au flux de visiteurs amenés par d’autres sites, en parquant ce nom de domaine avec des publicités bien ciblées, le site peut produire pendant quelque temps pour son nouveau propriétaire un revenu plus ou moins appréciable, permettant en tout cas de rembourser largement les quelque 15 francs que coûte la réservation annuelle du nom.
Le contenu du site personnel de Jacqueline Veuve a donc disparu. Il est possible qu’elle n’ait pas désiré elle-même le voir lui survivre. Ou peut-être n’y a-t-elle pas pensé, ou encore aucun de ses proches n’a-t-il reçu l’accès aux données permettant d’assurer la perpétuation de ce site, ce qui exigeait à la fois le renouvellement du nom de domaine et celui de l’hébergement du site sur un serveur. Quoi qu’il en soit, cela nous rappelle le caractère éphémère de beaucoup de sites, mais aussi le souci que nous devrions avoir, si nous souhaitons voir un de nos sites nous survivre, de penser à l’avenir et de prendre des dispositions pour éviter la disparition de ces vitrines en ligne sur notre vie et nos travaux.
P.S.: à la suite de la publication de mon billet, Nicolas Friedli a eu la judicieuse initiative de supprimer le lien sur Wikipedia.