J’aime la Neue Zürcher Zeitung: ce vénérable quotidien zurichois me propose une couverture de l’actualité internationale et des articles de fond que je ne trouve guère ailleurs. Au mois de juillet, c’est le seul, parmi les quotidiens et magazines que je lis, à m’avoir offert une analyse précise des résultats des élections au Bhoutan (NZZ, 15 juillet 2013) — petit pays himalayen de moins d’un million d’habitants, qui fait rêver les voyageurs au long cours, mais dont l’actualité politique ne retient guère l’attention de la presse européenne.
Le 13 juillet 2013, l’opposition bhoutanaise (People’s Democratic Party, PDP) a provoqué la surprise en raflant 32 des 47 sièges du Parlement lors des secondes élections nationales. L’article de Sascha Zastiral souligne que l’Inde s’était immiscée dans ces élections: entre les deux tours, le puissant voisin du Bhoutan avait supprimé les subventions sur le gaz et le carburant qu’il lui vendait, ce qui multiplia instantanément les prix du gaz et de l’essence par deux ou trois. Le PDP avait alors expliqué qu’il aurait les meilleures chances d’améliorer les relations avec l’Inde. À Delhi, les aspirations du précédent gouvernement à émanciper sa politique étrangère du contrôle indien avaient été peu goûtées, sans parler d’entretiens du Premier ministre du Bhoutan avec son homologue chinois en 2012. Rivalités stratégiques autour des régions himalayennes…
Mais ce qui a retenu mon attention était la mention de la suppression des subventions indiennes. Cela m’a rappelé une scène amusante à laquelle j’avais assisté il y a une dizaine d’années. Alors en séjour dans l’Assam, j’avais accompagné deux amis indiens jusqu’à la frontière du Bhoutan. Leur passeport leur permettait de pénétrer au Bhoutan sur une dizaine de kilomètres. Le mien, en revanche, m’interdisait une telle entrée sans visa. Je les attendais donc, devant le poste frontière élégamment décoré, tandis qu’un douanier bhoutanais contrôlait avec vigilance que je ne posais pas le pied sur le sol national.
Après quelques minutes, mon attention fut attirée par un curieux manège. Des enfants indiens traversaient la frontière, sans personne pour leur prêter attention. Ils revenaient du Bhoutan, chacun transportant un bidon rempli d’un liquide noirâtre. Après quelque temps, je finis par demander quel était donc ce précieux contenu importé depuis le Bhoutan? De l’essence, me répondit-on. Je m’étonnai: le Bhoutan ne m’était pas connu comme pays producteur de pétrole. En effet, m’expliqua-t-on: mais il recevait de l’Inde de l’essence subventionnée, à prix réduit, vendue moins cher qu’en Inde. Ces enfants allaient donc acheter au Bhoutan de l’essence concédée par l’Inde à un tarif subventionné, pour revendre ensuite cette essence en Inde avec un bénéfice!