Depuis des années, dans une perspective d’histoire des religions, je distingue entre “nouveaux mouvements religieux” (c’est-à-dire nouvelles expressions religieuses s’inscrivant dans la continuité d’une tradition préexistante) et “nouvelles religions” (c’est-à-dire mouvements se distinguant assez notablement des groupes préexistants pour être en mesure de donner éventuellement naissance à une nouvelle tradition indépendante). Je ne prétends pas qu’existe entre les deux modèles une démarcation toujours claire: mais ce sont deux types différents. Le christianisme plonge ses racines dans le judaïsme, mais est rapidement devenu autre chose qu’une branche du judaïsme; la Foi baha’ie est née de milieux musulmans chiites, mais ne peut être aujourd’hui qualifiée de branche de l’islam, car elle a débouché sur une autre réalité religieuse. J’avais développé quelques réflexions sur ces questions dans l’introduction du livre que j’avais codirigé avec un collègue néerlandais, Reender Kranenborg, sur La Naissance des Nouvelles Religions (Genève, Georg, 2004).
Dans le dernier numéro des Archives de Sciences sociales des Religions (N° 154, avril-juin 2011), Raphaël Voix et Pascale Lépinasse signent un article intitulé “Ne rien apprendre, tout savoir. Anti-intellectualisme et pratiques d’érudition dans deux sectes hindoues contemporaines”. Cet article aussi informé qu’instructif pour le lecteur examine la question de l’érudition et de l’éducation dans Ananda Marga et la Brahma Kumaris World Spiritual University (BKWSU), deux mouvements qui se sont diffusés à travers le monde.
Les deux groupes peuvent être définis par rapport aux grands courants de l’hindouisme: Ananda Marga est “un groupe shivaïte” et les Brahma Kumaris “un groupe vishnouite”. Mais ni l’un ni l’autre ne s’inscrivent dans une succession de maître à disciple, de génération en génération: tous deux ont été créés par un gourou considéré comme incarnation divine (avatara). Leurs membres n’étudient pas les textes anciens de l’hindouisme: chaque mouvement a ses propres écrits de référence, issus d’une “*parole révélée”: “La mise en écriture systématique de la parole du maître permet de constituer cette parole en un corpus […].” Nous aboutissons donc ici à la formation de groupes qui, bien que tributaires de la culture hindoue, développent des caractéristiques qui les transforme potentiellement en quelque chose de distinct — même si un processus de réintégration reste possible, seul le temps dira ce qu’il en adviendra, pour autant que ces mouvements survivent durablement.
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