À la modeste échelle de ma ville natale, l’événement était “historique”: pour la première fois, ce dimanche 3 novembre 2013, à 15h, les fidèles de l’Église réformée et de plusieurs communautés évangéliques se sont réunis pour un culte en commun. Le temple réformé de Fribourg (vieux de 125 ans) accueillait les pasteurs et une partie des fidèles de l’Église évangélique de réveil, de l’Église évangélique libre, d’Espace Rencontre, de la paroisse évangélique réformée, de l’Église adventiste du 7e jour et de la Freie Evangelische Gemeinde — car Fribourg en Suisse est une ville (et un canton) bilingue. Seules manquaient au rendez-vous les communautés “ethniques”, notamment africaines, mais pour des raisons surtout logistiques: les organisateurs souhaitent les voir participer à de futurs cultes inter-protestants.
En dehors de la région de Morat, devenue protestante au XVIe siècle, le canton de Fribourg est resté entièrement catholique jusqu’au 19e siècle; à ce moment, par suite de migrations intercantonales, des communautés réformées ont commencé à voir le jour, et par la suite deux Églises évangéliques libres de langue allemande (à Fribourg-Guin et à Morat). Il fallut attendre 1958 pour la fondation d’une communauté adventiste du 7e jour et 1980 pour voir naître d’autres Églises évangéliques, francophones celles-ci, en ville de Fribourg et dans d’autres localités du canton.
Pendant des années, ce fut plutôt une coexistence, avec peu de contacts, si ce n’est à travers le passage de fidèles d’une communauté à une autre. Puis des liens commencèrent à s’établir, d’abord entre certains pasteurs évangéliques, puis entre ceux-ci et les pasteurs réformés de la ville de Fribourg. Des rencontres régulières ont lieu aujourd’hui entre les pasteurs des différentes communautés de lignée protestante (y compris les adventistes). Le culte inter-protestant de ce premier dimanche de novembre était un fruit de cette bonne entente pastorale, élargie aux fidèles, sans ignorer leurs spécificités, comme le fit remarquer l’un des pasteurs.
Les bancs du temple réformé étaient bien occupés pour cette célébration commune. Les accents de l’orgue en introduction du culte et après les prédications tranchaient, pour les participants évangéliques, avec leurs modèles musicaux familiers. Le choix des chants et des instruments reflétait la volonté de représenter la palette des différents types de louange aujourd’hui présents dans le champ protestant, des vieux cantiques (“C’est un rempart que notre Dieu…”) aux rythmes entraînants de compositions plus récentes. Trois prédications courtes ont éclairé le même texte sous des angles différents (l’histoire des puits relatée dans le chapitre 26 de la Genèse), pour mettre en évidence la légitimité et la complémentarité des approches. Cela a d’ailleurs été souligné dans l’un des paragraphes de la déclaration de foi récitée par tous les participants à la fin du culte:
“Églises et communautés protestantes de Fribourg, nous lisons la même Bible. Quand nous l’ouvrons, nous nous y prenons de multiples manières. Nous nous engageons à nous stimuler, à découvrir et à expérimenter à travers la Bible le même Dieu.”
Plus largement, la formulation d’un autre paragraphe de la déclaration entendait mettre en évidence que le temps des luttes confessionnelles laisse aujourd’hui place à la collaboration entre chrétiens: ”Chrétiens parmi d’autres chrétiens, nous désirons mieux nous connaître et nous enrichir, cultiver nos spécificités quand elles sont vivantes et célébrer ce qui nous est commun.”
À Fribourg comme dans bien d’autres endroits, un culte commun, réunissant réformés, évangéliques et adventistes, aurait été difficilement imaginable il y a une trentaine d’années. De telles initiatives témoignent des évolutions qui travaillent le christianisme en Europe occidentale.