Il est arrivé aujourd’hui par la poste: un beau et gros volume relié de 1012 pages, intitulé Dictionnaire-Dikchenéro, Français-Patois, Patê-Franché. C’est à la Société cantonale des patoisants fribourgeois (Chochyèta cantonale di patêjan fribordzê) que nous devons cette réalisation, fruit de milliers d’heures de travail — un labeur qu’on imagine en feuilletant ce volumineux ouvrage, avec quelque 40.000 mots recensés. Il témoigne d’un attachement aux racines et traditions locales.
Le patois n’a pas toujours été ainsi à l’honneur. L’on sait comment les langues régionales ont été combattues en France, mais il ne faut pas imaginer que la Suisse, moins centralisée, leur a laissé libre cours: la réglementation des écoles primaires du canton de Fribourg avait interdit l’usage du patois dans le cadre scolaire de 1886 à 1961, rappelle le préfacier, Michel Pittet. Plus largement, la transmission des patois avait commencé à s’interrompre dans les villes dès 1820-1830, précise le professeur Andres Kristol (Université de Neuchâtel), mais s’est conservée bien plus longtemps dans les campagnes. C’est aujourd’hui, alors que son existence est moins assurée, que l’on prend conscience de la nécessité pas simplement de préserver ce patrimoine comme un objet de musée, mais de le maintenir vivant. Il existe trois variétés de patois fribourgeois, avec des liens très forts, rappellent les auteurs: le gruérien ou gruvèrin, le kouètsou et le broyard ou broyâ; ce dernier a presque disparu.
“Les patois fribourgeois ne sont rien d’autre que des formes réelles et concrètes de la langue franco-provençale” (p. 9). Les auteurs ont fait plus que nous offrir un dictionnaire de celles-ci. Une partie introductive, après avoir exposé les règles suivies pour l’orthographe, explique les sons, les conjugaisons et principales règles de grammaire (sans proposer une grammaire complète, mais assez pour comprendre les principes du patois fribourgeois).
Né en ville de Fribourg, je ne parle pas le patois, même s’il évoque un univers familier. Je me suis plongé avec d’autant plus de gourmandise dans les pages du dictionnaire, curieux d’y découvrir l’équivalent patois de tel ou tel mot français. Pour me limiter au domaine religieux, j’apprends que Dieu peut se dire Dyu, mais aussi Chi dè Hô-lé (c’est-à-dire “Celui de là-haut”, comme si une crainte révérencielle incitait à ne pas prononcer le nom de Dieu à la légère). Pour d’autres mots naît chez le lecteur le désir d’en savoir plus sur l’étymologie (ce qui dépasse, bien sûr, le cadre d’un tel dictionnaire): par exemple en découvrant que “église” se dit mohyi, un mot dont l’origine m’intrigue.
Pour le reste, je me laisse aller au plaisir des saveurs de cette langue du terroir: bedouma, personne sotte, stupide; chatyêre, tas de branches de sapin; pèchouêdre (ou püchyêdre, pèchyàdre), fantôme, revenant; rèbyo (féminin rêbya), âpre; mô l’apanâ (mô signifie “mal”), malhonnête, impoli; kanbinâ, cheminer, marcher; èvètyè, évêque; ètyiru (ou yêrdza), écureuil; èbutsiyi, ramasser des brindilles; djiga, violon; chèyare, faucheur — et quelques milliers d’autres…