Le 1er janvier 2000, j’avais pris la décision non seulement de désactiver la sonnerie de mon appareil de téléphone, mais aussi de débrancher mon répondeur automatique. Depuis, je réactive mon téléphone seulement à l’heure où est fixé un rendez-vous téléphonique — ou, parfois, parce que j’ai oublié de désactiver à nouveau la sonnerie après un appel.
Si j’avais adopté cette mesure radicale, ce n’était pas pour me protéger contre les démarcheurs téléphoniques, instituts de sondage et autres importuns qui se permettent de s’introduire dans notre vie même aux moments les plus mal choisis. C’était surtout pour me mettre à l’abri de toutes les demandes que je reçois pour donner des informations sur les sujets les plus variés. Quand vous répondez au téléphone, sans doute vous attendez-vous à entendre la voix d’un ami, d’un parent ou d’une autre personne qui souhaite vous donner des nouvelles ou proposer une rencontre. Dans mon cas, quand le téléphone sonne, je sais que ce sera une personne qui souhaite me raconter sa vie ou ses problèmes et me demander mon avis (tout en étant souvent mécontente si l’avis que je lui donne ne confirme pas ce qu’elle espère entendre!), ou un journaliste qui a besoin sur-le-champ de renseignements sur n’importe quel sujet relatif aux religions dans le monde contemporain, au sens le plus large, voire sur d’autres thèmes pour lesquels il semble que je représente le recours ultime.
C’est flatteur de se trouver considéré comme centrale d’information, mais chronophage pour un chercheur sans secrétariat et sans assistant. Avant de débrancher mon téléphone, il m’arrivait de recevoir dans la même journée quatre appels de journalistes sur quatre sujets différents, et pas toujours des sujets sur lesquels j’avais les réponses sous la main. Entre l’entretien et la recherche de la réponse, cela représentait une heure en moyenne par appel, sans parler du dérangement: quatre interruptions dans la journée quand je suis plongé dans un travail rédactionnel, encore sur un autre thème que ceux des appels, cela signifie une journée de travail en grande partie perdue, parfois pour de maigres résultats (quand ce n’est pas pour se retrouver cité de travers…).
Le courrier électronique crée une pression d’immédiateté — encore que rien n’oblige à toujours y répondre immédiatement. Mais il permet beaucoup plus aisément de gérer les demandes: de dire que je n’ai pas d’information pour répondre à la question, de suggérer un autre interlocuteur plus compétent, ou de répondre soit en appelant le journaliste, soit en donnant les renseignements demandés sous forme écrite si la question s’y prête. Je reste maître de mon temps, y compris en ne consultant pas mon courrier électronique pendant quelques heures si je suis concentré sur un travail — et sans la sonnerie du téléphone.
Hier, deux demandes de journalistes; aujourd’hui, deux encore. Dans un cas sur deux, je pouvais répondre et je l’ai fait; dans les deux autres cas, j’ai pu orienter le ou la journaliste vers d’autres sources ou interlocuteurs possibles. Cela m’a pris du temps (un peu plus d’une heure), mais bien moins que s’il m’avait fallu répondre au téléphone. En outre, mes réponses ont été plus précises que si j’avais répondu au pied levé. Et j’ai pu expliquer à la journaliste qui insistait malgré tout que, non, je n’avais malheureusement pas la réponse à ses questions: alors qu’un entretien téléphonique aurait débouché sur la tentative désespérée d’obtenir «quand même» quelques propos citables pour un article à boucler – évidemment – le soir même…
Ce n’est pas le sentiment de tout le monde, mais le courrier électronique me permet une gestion plus efficace des contacts, au point que, sur mes cartes de visite personnelles, j’imprime uniquement mon adresse électronique et plus mon numéro de téléphone. Il est vrai que, comme vous sans doute, je me sens parfois submergé par l’afflux des courriels, mais ce n’est pas très différent de piles d’enveloppes et de documents qui s’entassaient sur mon bureau (et s’y entassent encore, d’ailleurs). Le courriel est finalement une belle invention.