Même si les statistiques officielles ne font souvent état que d’un faible nombre d’athées dans les pays arabes, un changement de génération se produit: de plus en plus de gens tournent le dos à la religion, explique Ahmed Benchemsi dans un article publié par The New Republic (23 avril 2015) sur ces «athées invisibles». En fait, malgré la forte dissuasion que représentent les peines pour les apostats ainsi que la pression sociale, certains sondages internationaux suggèrent même que la proportion d’«athées convaincus» ou de «personnes non religieuses» dans un pays tel que l’Arabie saoudite pourrait être assez proche des chiffres de certains pays occidentaux. La diffusion d’Internet ouvre de nouvelles voies à la propagation de l’athéisme et à l’établissement de contacts entre personnes partageant des vues semblables.
Beaucoup de non-croyants préfèrent dissimuler leur absence de convictions religieuses pour ne pas choquer leur famille et pour éviter des ennuis. «Dans le monde arabe d’aujourd’hui, ce n’est pas tant la religiosité qui est obligatoire que l’apparence de celle-ci», résume Benchemsi. La situation est encore plus délicate pour les femmes athées, car athéisme et immoralité sont souvent associés dans la perception publique.
Comme partout, des doutes personnels marquent souvent le point de départ d’un itinéraire conduisant à la perte de la foi. Des situations personnelles oppressantes liées à la religion (ou à des personnes religieuses) constituent un autre facteur assez classique. En revanche, le rejet du djihadisme ne représenterait pas une cause majeure de ces démarches, à en croire Brian Whitaker, auteur d’un livre sur l’athéisme dans le monde arabe, publié l’an dernier: les athées rejettent tout type de religion, et pas simplement les formes les plus extrêmes de croyance, explique-t-il.
Admettre son athéisme fait courir le risque d’être considéré non seulement comme un ennemi de la religion, mais aussi de l’État: sans ses fondements religieux, le régime saoudien serait fragile, et se dire athée équivaut donc à se proclamer révolutionnaire. Bien que leur démarche ne soit souvent pas politique au départ, il est difficile pour les athées des pays arabes d’éviter la dimension politique, puisque la religion n’est pas considérée comme une affaire privée et parce qu’ils plaident pour des sociétés séculières. «Quand la foi des gens est politique, mon manque de foi le devient également par définition», conclut l’historien égyptien Abdel-Samad, ancien membre du mouvement des Frères musulmans.
Publié de façon indépendante et disponible uniquement sur Amazon, le livre du journaliste Brian Whitaker est probablement l’un des seuls ouvrages sur l’athéisme dans le monde arabe: Arabs Without God: Atheism and Freedom of Belief in the Middle East, 2014, 210 p. Il inclut également un chapitre historique.