Dans la rue, je croise un habitant du quartier, qui me lance: “Je vous ai vu à la télévision. Si les religions n’existaient plus, vous n’auriez plus rien à faire!” Du tac au tac, je lui réponds: “N’en croyez rien! J’étudierais l’athéisme! Je ferais des recherches sur les sectes athées…”
Le sujet m’avait d’ailleurs intéressé, mais il y a longtemps: dans la première moitié des années 1980, j’avais commencé à rassembler un peu de documentation sur les groupes d’athées et de libres-penseurs dans le monde, ce qui demandait quelques efforts à l’âge où Internet n’existait pas encore. J’avais même reçu des documents d’un centre athée en Inde, fondé dans les années 1940 par un ancien collaborateur de Gandhi. J’avais publié, dans le mensuel catholique genevois Choisir, un article au ton plutôt critique, proposant un petit panorama: “Les mouvements athées: anticléricaux, rationalistes et ‘humanistes’” (N° 295-296, juillet-août 1984, pp. 17-21). Il s’ouvrait par la mention du 3e Congrès mondial des athées à Helsinki en juin 1983. Tout cela était intéressant, mais je n’avais pas poursuivi ma quête de documentation sur le sujet, ayant déjà bien assez à faire avec le foisonnement de mouvements religieux qui retenaient déjà mon attention. Et je n’avais certes pas prévu l’émergence du “nouvel athéisme” que nous voyons s’affirmer depuis une décennie.
La plupart des athées ou libres-penseurs ne rejoignent pas une organisation, sans parler des simples incroyants qui ne font pas de leur incroyance une position “doctrinale” ou idéologique. D’autres y trouvent pourtant la source d’un engagement, autant pour critiquer les religions que pour promouvoir un idéal athée. Les mouvements athées continuent donc d’exister: aux États-Unis, signalait J. Gordon Melton lors du colloque du Cesnur à Waco (Texas) en juin 2014, il existe aujourd’hui pas moins de sept organisations athées implantées à l’échelle nationale. Et ne parlons pas des différents courants actifs à travers le monde, avec des histoires très différentes (des associations de libre-pensée actives depuis le 19e siècle à l’héritage de l’athéisme promu par l’État dans des pays communistes). Il y aurait du travail pour un chercheur, même si je ne suis pas sûr que cela me passionnerait autant que l’étude des groupes religieux.
Peut-être étudierais-je les conversions à l’athéisme. Il y a plus de dix ans, dans une communauté chrétienne en Suisse, j’avais croisé une jeune fille d’apparence discrète et pieuse, nouvelle membre zélée de cette paroisse. Quelques années plus tard, dans une rue de Berne, je rencontrai à nouveau cette jeune fille, qui distribuait de la propagande à un stand de la libre-pensée: elle m’annonça avec conviction avoir tourné le dos à la religion. À voir son zèle prosélyte, dans la froidure d’une soirée hivernale, je me suis demandé si elle n’avait pas plutôt embrassé la… foi athée!