« Je suis inscrite à l’Université, mais je ne vais pas aux cours, ça m’ennuie… Enfin, j’y vais une fois sur cinq… » Les propos de l’étudiante qui parle à un ami dans le bus, juste derrière moi, retiennent mon attention : le matin même, j’ai lu dans le quotidien local un article sur une manifestation des étudiants de l’Université de Fribourg qui protestaient contre l’augmentation des taxes d’inscription, et je suis tenté un instant de penser qu’il y a des étudiants surnuméraires qui n’ont pas ces soucis. La sévérité de mon jugement se tempère en entendant la suite : « De toute façon, la plupart des profs nous projettent des diapositives et se contentent de lire ce qu’il y a dessus. » Je tairai le nom de la faculté dans laquelle elle étudie (de temps en temps…). Elle enchaîne en reconnaissant qu’il y a des exceptions, avec des enseignants qui stimulent les questions ou qui invitent même leurs étudiants à soumettre des questions en ligne, puis à voter pour la question qui suscite le plus d’intérêt et devra être traitée dans le cours suivant.
Un public d’étudiants est redoutable. Ayant l’occasion d’assister quotidiennement à des cours, ils en repèrent vite les faiblesses. Réussir à retenir l’attention d’un public d’étudiants est un bon test pour un orateur désireux de savoir si son discours est bien construit et intéressant. Malheureusement, il existe, dans l’université comme ailleurs (et parmi les professeurs comme parmi les étudiants), de piètres orateurs, et l’utilisation de Powerpoint (ou de Keynote, si vous êtes comme moi sur Mac) ne fait qu’aggraver la situation. Nombreux sont ceux qui pensent devoir projeter tout le contenu ou presque sur l’écran. Cela peut se justifier parfois pour un auditoire multilingue ou dont une partie a des difficultés de compréhension. Sinon, une judicieuse utilisation d’une présentation Powerpoint / Keynote est de souligner de façon concise les points essentiels, d’apporter des éléments complémentaires, de présenter des schémas et graphiques, ou de soutenir le propos par des éléments visuels. Fournir le texte de la présentation après celle-ci est une idée bienvenue, si l’on souhaite le faire — mais pas le projeter sur l’écran, sauf cas particuliers.
Un autre travers irritant, que j’observe souvent, est celui de l’orateur qui lit ce qu’il projette. Mais voyons : on s’adresse à son public, on ne parle pas à son écran ! D’autant plus qu’on a généralement devant soi, en plus petite taille, sur l’écran de son ordinateur ce qui est projeté en grand format sur l’écran de la salle. Il m’arrive de parler pendant une heure avec projection de diapositives sans regarder une seule fois le grand écran : en général, je place devant moi non seulement la présentation sur ordinateur, mais également les diapositives imprimées sur papier, en petit format, afin de me rappeler clairement leur séquence.
C’est vrai qu’utiliser des présentations sur écran comme complément et soutien de l’exposé, et non comme affichage du texte de celui-ci, demande un travail supplémentaire. Parfois plusieurs heures, s’il faut chercher des illustrations adéquates ou mettre au point des graphiques. Mais de cette façon, Powerpoint / Keynote peut enrichir la présentation, ou au moins la rendre plus attrayante dans une ère de l’omniprésence de l’image — sans appauvrir la pensée, même si je ne méconnais pas les risques d’un discours qui en arriverait à se mouler sur le support et à s’articuler en fonction de celui-ci. Support visuel ou pas, l’objectif de l’orateur doit rester non seulement de proposer une réflexion intelligente, mais de le faire de façon aussi intéressante et claire que possible. Nous devons bien cela à ceux qui prennent le temps de nous écouter — et, si l’on enseigne, convaincre des étudiantes qui s’ennuient que les cours peuvent aussi être des moments passionnants…