À la fin des années 1980, j’étais engagé dans une ambitieuse et dévorante recherche sur les groupes religieux et spirituels post-chrétiens dans la Suisse contemporaine. L’un des fruits en fut le livre Les Nouvelles Voies spirituelles. Enquête sur la religiosité parallèle en Suisse (L’Âge d’Homme, 1993). Chaque jour, je me trouvais « sur le terrain » pour visiter des centres, mener des entretiens ou assister à des réunions aux quatre coins du pays. Un jour, traversant la ville de Genève, je me rendis compte que toute ma topographie urbaine tournait autour de points de repère liés à mes recherches. Telle rue évoquait le siège d’une association ésotérique, telle place le lieu de réunion d’un groupe néo-hindou, tel quartier la présence d’une libraire spécialisée.
En fonction de nos centres d’intérêt, de nos relations et de nos expériences, chacun d’entre nous approche une ville avec une topographie particulière, à côté de lieux importants et connus de tout le monde. De plus, même ces sites n’ont pas la même signification pour tout le monde, car nos imaginaires y associent des références différentes. Sur le plan religieux, j’en avais pris conscience lors de deux voyages en groupe en Terre Sainte, il y a bien des années, l’un avec des pèlerins chrétiens orthodoxes, l’autre dans un cadre multireligieux : tout en me trouvant physiquement aux mêmes endroits, je n’avais pas toujours l’impression de visiter les mêmes lieux, car les guides n’y associaient pas les mêmes significations.
Cette semaine, j’ai reçu un plan de la ville suisse de Winterthour, publié à l’enseigne de Neue Wege (nouveaux chemins). Également disponible et téléchargeable en ligne, la nouvelle édition de ce plan (tiré à 22.000 exemplaires) choisit une quarantaine d’adresses de commerces et services avec une offre « écologique, équitable, holistique, végane, culturelle et particulièrement originale ». Les restaurants de la liste proposent donc tous des plats végétariens ou véganes, de même que les magasins d’alimentation et pâtisseries. On trouve des commerces de vêtements bio et des chaussures véganes, des thérapeutes orientés vers les médecines douces, et même un bed & breakfast qui se dénomme judicieusement « maison de la diversité ». Bien entendu, le plan n’ignore pas l’office du tourisme, quelques librairies et des artisans. C’est une façon astucieuse de promouvoir ces commerces par les canaux touristiques. Mais aussi, sans quitter le centre de Winterthour, le visiteur attaché à un mode de vie « écologique, équitable, holistique et végane » peut faire ses achats, s’alimenter et même dormir en retrouvant à travers la ville les repères de l’univers de références auquel il est attaché.
Le plan et ses mises à jour peuvent être consultés ou téléchargés sur ce site: http://www.neue-wege-stadtplan.ch
Le plan est une initiative de Shanti, « commerce pour un mode de vie holistique », dont on peut découvrir quelques images sur sa galerie de photographies.