En passant devant un marchand de journaux, mon regard est attiré par la couverture du dernier numéro de l’hebdomadaire suisse L’Illustré. « Soyons zen en 2019 », nous propose ce magazine populaire. La nonne bouddhiste française (zen – et végane) Kankyo Tannier partage 12 conseils et 19 exercices. Elle nous rassure : « Lancez-vous, on peut TOUS y arriver ! » Après quinze ans dans un monastère zen en Alsace, elle vit dans un ermitage dans les Vosges. Très active, elle donne des conférences, tandis que son livre Ma cure de silence a été traduit en plusieurs langues… Cette communicatrice a son blogue et son compte Twitter, et elle publie d’occasionnelles vidéos ou réflexions sur le Huffington Post. Le tout dans un langage simple, pour montrer ce que le bouddhisme peut apporter à la vie quotidienne. « J’essaye de rendre accessible le bouddhisme au grand public. Quand j’écris, je me mets à la place de quelqu’un qui n’a jamais entendu parler de bouddhisme », explique-t-elle à la journaliste Déborah Liss (Rue 89 Strasbourg, 6 juillet 2017).
Il y a deux mois, j’ai assisté à une intéressante soirée d’inauguration du nouveau petit local d’un groupe zen dans ma ville de Fribourg. Nous n’étions que quelques-uns pour écouter les deux nonnes venues nous parler ce soir-là. Mais si la pratique régulière du zen ou l’engagement dans une voie monastique bouddhiste ne sont le fait que de peu de gens, il existe une ouverture à ce qui peut apporter un peu de spiritualité dans l’agitation et le stress des existences modernes avec leurs multiples sollicitations. Et certaines pratiques d’origine orientale se retrouvent associées au rêve d’une vie plus équilibrée et d’une approche plus sereine, sans nécessairement en assumer tout le bagage religieux. Le site de L’illustré énonce clairement le programme : « Notre guide bien-être ou comment passer une année 2019 aussi zen que possible. »
Des mots empruntés aux voies spirituelles orientales sont aujourd’hui intégrés dans notre vocabulaire, avec des applications dépassant de loin le champ de la spiritualité. Le mot gourou en offre un bon exemple, à vrai dire avec des sens tant positifs que négatifs, dans une palette allant du spécialiste de haut niveau au manipulateur dominateur. Mais le mot zen n’irradie que de la positivité : on parle de « décor zen », c’est-à-dire sobre et mininaliste ; et « rester zen » indique la capacité à conserver la sérénité même dans des circonstances qui ne la favorisent pas. Cette acception n’est pas si ancienne : « Le mot zen a pris au début des années 1990 des valeurs à la mode ; comme adjectif, il signifie ‘calme, tranquille, sans émotion apparente. (Cf. cool) », indique le Dictionnaire historique de la langue française dirigé par Alain Rey (Le Robert, 2012, t. 3, p. 3988). Une effigie de Bouddha ou une souriante nonne bouddhiste assise en tailleur évoquent ainsi, pour la plupart d’entre nous, non pas tant la discipline d’une voie spirituelle, mais ce que nous percevons comme équilibre et sagesse. Bien des religions pourraient envier une telle image de marque dans le grand public.