Parmi mes lectures estivales, le livre-entretien de Nicolas Diat avec le cardinal Robert Sarah. J’avais eu l’occasion de lire quelques articles sur cet homme d’Église, quelques entretiens dans des journaux et magazines, mais j’étais curieux d’en savoir plus, notamment sur ses réflexions en matière liturgique. Le 12 juin 2015, en sa qualité de Préfet de la Congrégation du Culte Divin, il a ainsi publié dans l’Osservatore Romano des remarques sur le sens à donner à la Constitution sur la Sainte Liturgie Sacrosanctum Concilium, promulguée le 4 décembre 1963 (des traductions du texte du cardinal Sarah circulent en ligne: on peut par exemple le lire ici). Il y décrit la liturgie comme «une réalité fondamentalement mystique et contemplative», et souligne la nécessité de ne pas la réduire «à un jeu humain», mais d’en faire le lieu d’un «émerveillement sacré».
Mais ce volume m’a surtout permis de découvrir la vie du cardinal Sarah ainsi que sa force et sa discipline spirituelles. Il lui en fallut beaucoup pour assurer un ministère dans des conditions difficiles, sous le régime répressif et marxiste de Sékou Touré en Guinée, où il devint, à 34 ans, le plus jeune évêque du monde en 1979. Il ne dut qu’à la mort du dictateur, en mars 1984, d’échapper à l’arrestation secrète et à l’assassinat qui auraient frappé le courageux évêque le mois suivant, découvrit-il par la suite. Depuis 2001, il réside à Rome, où il fut d’abord appelé comme Secrétaire de la Congrégation pour l’évangélisation des peuples. Il est cardinal depuis 2010.
J’ai particulièrement noté l’hommage que rend Mgr Robert Sarah aux missionnaires spiritains, desquels il dit tenir sa sensibilité liturgique, comme enfant de chœur déjà: «j’observais avec une grande attention la délicatesse et la ferveur avec lesquelles les prêtres de mon village célébraient leurs messes quotidiennes.» (p. 69) Il tint à la présence des spiritains lors de son élévation à la dignité cardinalice (p. 109). Il évoque leurs sacrifices, leur foi, leur dévouement. Ils restent pour lui un modèle:
«Les spiritains de ma paroisse possédaient cette unique certitude: ils donnaient leur vie et leur santé pour la cause de Jésus, en s’investissant autant dans l’évangélisation que dans l’éducation, le service de la charité et les soins de santé. Mes parents ont cru en Dieu car ils ont été éblouis par la vigueur du témoignage des missionnaires français.» (p. 167)
«Je garderai ma vie durant une immense admiration pour ces hommes qui avaient quitté la France, leurs familles et leurs attaches afin de porter l’amour de Dieu aux confins du monde. (p. 30)
«Depuis mon plus jeune âge, avant même les années de catéchisme, je crois que la chose qui m’a le plus profondément impressionné chez les spiritains est la régularité de la vie de prière. Je ne pourrai jamais oublier la rigueur spirituelle de leur quotidien. Les journées des spiritains étaient ordonnées comme celles des moines. […] Leurs qualités humaines, intellectuelles, spirituelles étaient exceptionnelles, mais tous sont morts très jeunes.» (pp. 45-46)
Je n’en suis pas surpris: même si elle n’est plus toujours comprise aujourd’hui, l’histoire missionnaire révèle de vigoureuses figures croyantes — des hommes de foi qui, souvent, ont été aussi des bâtisseurs. J’avais eu la chance, durant mes études, de suivre un peu les travaux entrepris par le regretté universitaire français Jacques Gadille (1927-2013) sur la diffusion et l’inculturation du christianisme. Ces précoces ouvertures m’ont souvent été utiles par la suite, au cours de mes voyages et observations.
Je me souviens encore, en l’an 2000, d’un trajet en voiture de Kampala vers le Sud de l’Ouganda, en compagnie d’un prêtre octogénaire allemand (membre de la société des Missionnaires d’Afrique, plus connus sous la dénomination de «Pères Blancs»): à chaque village traversé, alors que nous arrivions dans la zone où il avait exercé son ministère, il racontait avoir construit ici une école, là un dispensaire… Ces aventures missionnaires sont autant de passionnantes tranches d’histoire et de foi.
Cardinal Robert Sarah, avec Nicolas Diat, Dieu ou rien: Entretien sur la foi, Paris, Fayard, 2015, 418 p.