C’est une histoire de pharmacie — mais juste avant la pandémie, vous serez soulagés que je n’y parle (presque) pas du Covid-19 ! Les mois dernier, de retour d’un voyage au Proche-Orient (oh, que cela semble loin aujourd’hui…), j’atterris dans un aéroport allemand. Je dispose d’une heure avant le départ de mon train vers la Suisse. J’avise une pharmacie. Depuis une dizaine de jours, j’ai une petite coupure au pouce droit, qui ne se guérit pas : bonne occasion d’acheter une crème pour résoudre ce petit problème.
Compétente, la pharmacienne me recommande la crème qui convient et un sparadrap adapté pour le pouce. Personne d’autre n’attend derrière moi : je lui demande donc de mettre un peu de crème sur le pouce et d’y placer le sparadrap. Elle s’empare du tube, mais hésite, me regarde… « Savez-vous que je n’ai pas le droit de le faire ? » Je crois à une blague, ou à une mauvaise compréhension d’une expression allemande. Pas du tout : « Tout acte curatif nous est interdit, qu’il s’agisse d’étendre un peu de crème sur le corps ou de gicler un liquide en spray. » Je lui dis mon incrédulité : j’ai du mal à comprendre en quoi la simple application d’une crème cicatrisante outrepasserait les compétences d’une pharmacienne — surtout à un moment où l’on discute de plus en plus de la contribution des pharmaciens à des actes simples pour lesquels il n’est pas nécessaire de recourir à des médecins et qui peuvent décharger un peu ceux-ci.
L’aimable pharmacienne est d’accord, mais elle m’explique qu’elle pourrait être sanctionnée, ou au moins frappée d’un avertissement, pour l’aide bien modeste qu’elle me donne en appliquant un peu de crème sur mon pouce et en y collant un sparadrap ! Sur mon assurance que je ne suis pas un inspecteur ou un médecin, et que je vais embarquer dans le prochain train pour la Suisse, elle accepte de me rendre le service que je lui demande. Conscient de faire plonger la pharmacienne dans l’illégalité, je regarde de tous les côtés pour m’assurer qu’aucun inspecteur embusqué entre deux rayons de médicaments n’est en train de nous photographier ou ne va bondir pour nous menotter et lui reprocher un exercice illégal de la médecine. Pourtant, m’apprend-elle, depuis peu, en Allemagne, les pharmaciens sont autorisés à vacciner — mais seulement à vacciner, pas à coller un sparadrap…
Nous tombons tous les deux d’accord sur l’excès des réglementations et leur absurdité. Sans doute une disposition émanant de quelque bureaucratie de l’Union européenne? Si c’est le cas, lui dis-je, cela me convainc d’autant plus que la Suisse a bien raison de s’abstenir de rejoindre l’UE. Et la pharmacienne de me répondre : « Mais si les Suisses en devenaient membres, peut-être pourraient-ils nous aider à nous débarrasser de ces carcans ? Ils pourraient lancer un référendum ? » Hélas, même si j’aimerais bien aider les autres Européens à se libérer de leurs gangues réglementaires, je crains que les cantons suisses n’y suffisent pas… (Et soyons honnêtes : la Suisse n’est pas toujours indemne de la manie de vouloir tout réglementer, même si un pharmacien ne m’y refusera pas l’application d’une pommade.)
Si le récit ci-dessus relève de l’anecdote, les réglementations édictées par de grandes bureaucraties peuvent avoir des conséquences bien plus graves, comme le montre cet article du Dr Youri Popowski, « Coronavirus et réglementation de l’Union européenne », AGEFI, 22 mars 2020, que je vous recommande de lire.