“Recensement” entre guillemets, parce que celui-ci n’existe plus en Suisse. Depuis 2010, à la place du recensement décennal, un “relevé structurel” annuel est supposé apporter une connaissance mise à jour en permanence sur la situation, à partir des données des administrations et de sondages détaillés soumis à 2,7% de la population au moins. De plus, le relevé structurel ne porte que sur les résidents âgés de plus de 15 ans et exclut toutes les personnes ne vivant pas en ménage individuel (les personnes vivant dans des communautés religieuses, foyers pour personnes âgées, etc., ne sont ainsi pas prises en considération). Il paraît que cela permet d’économiser 100 millions de francs par rapport à la méthode précédente, entre autres avantages.
Peut-être ce système est-il adéquat pour aborder certaines questions. Pour qui s’intéresse à la situation religieuse, en revanche, c’est un désastre. Le recensement suisse contient en effet une question sur l’appartenance religieuse. Avec la nouvelle méthode, plus aucune possibilité de disposer d’une connaissance fine de la démographie religieuse quand il s’agit des communautés les moins grandes: extrapoler avec un certain degré de précision à partir d’un échantillon de quelque 3% de la population est une entreprise hasardeuse ou impossible pour de tels groupes. Ainsi, paradoxalement, la Suisse disposait d’un recensement précis des appartenances religieuses à une époque où 97% de la population se répartissait entre l’Église catholique romaine et l’Église réformée, mais s’est privée de cet outil à l’heure où la diversité religieuse se développe! (Il est vrai que le groupe qui croît le plus rapidement est celui des personnes sans appartenance religieuse: un cinquième de la population.)
Rendus publics en mai 2012, les premiers résultats du relevé structurel 2010 étaient frustrants, même s’ils apportaient des informations utiles sur l’évolution démographique de groupes larges tels que les musulmans ou les personnes sans appartenance — informations nécessairement entachées d’approximations. En outre, voici que l’Office fédéral de la statistique (dont personne ne conteste l’excellent travail en règle générale) publie aujourd’hui une version rectifiée de son communiqué de presse du mois de mai: les réformés perdent 2% (pour descendre à 28% de la population), tandis que les “autres communautés chrétiennes” font plus que doubler! À ma question à ce sujet, l’OFS a répondu: “Les corrections […] sont dues à une erreur de codage, lié à une nomenclature complexe.” Heureusement, un article de l’excellente agence de presse ProtestInfo nous révèle ce qui s’est produit: beaucoup de communautés évangéliques, notamment, ont été placées dans la catégorie des réformés. La faiblesse de la catégorie “autres communautés chrétiennes” a étonné certains membres de ces communautés, par rapport au recensement 2000, ce qui a conduit à la découverte du problème. Le nombre estimé de membres des “autres communautés chrétiennes” âgés de plus de 15 ans passe ainsi de 155’650 à 355’465.
Au delà de cet incident, reste la déception de voir que la Suisse a renoncé à un outil tel que le recensement décennal. Encore plus quand on songe que, en 2010, l’Inde, avec 1,2 milliard d’habitants, a réussi à conduire son recensement décennal complet de la population, utilisant les services de plus de 2 millions de personnes pour recueillir les données. La Suisse, elle, compte 8 millions d’habitants…