Depuis longtemps, je m’intéresse aux courants du “sionisme chrétien”, qui appliquent aux événements survenant dans le Proche-Orient contemporain une grille de lecture fondée sur des interprétations des prophéties bibliques. Plus largement, le sujet des scénarios apocalyptiques et croyances millénaristes dans leurs différentes expressions retient mon attention: ces derniers mois, j’ai mené des recherches sur les croyances autour de l’année 2012.
Dans la Bible, le livre du prophète Daniel fait allusion à un “roi du Nord” qui s’oppose aux serviteurs de Dieu (chapitre 11). Ce “roi” a été diversement identifié: certains croient y voir une superpuissance européenne; mais, durant la guerre froide, il était courant d’identifier le “roi du Nord” à la Russie, ou plus exactement à l’Union soviétique. Dans son best-seller publié pour la première fois an anglais en 1970, The Late Great Planet Earth (en français: L’Agonie de notre Vieille Planète, 1974), l’évangéliste Hal Lindsey écrivait, dans un chapitre intitulé “La Russie est Gog”: "Peu après la restauration des juifs dans le pays d’Israël, un ennemi terrible venant de ‘l’extrême nord’ se dressera contre eux.“ Commentant le chapitre 38 du livre d’Ézéchiel, il concluait que cet ennemi ne pouvait être que l’URSS. "La puissance russe est appelée ‘le Roi du Nord’.” Mais elle serait détruite avec ses alliés “par un acte qu’Israël reconnaîtra comme venant de son Dieu”.
La guerre froide est finie et l’environnement politique international s’est transformé: les interprétations prophétiques aussi. Dans le dernier numéro (août 2012) des Nouvelles d’Israël, magazine publié par l’œuvre missionnaire L’Appel de Minuit, fondée par Wim Malgo (1922-1992), l’éditorial de Fredi Winkler évoque la visite en Israël de Vladimir Poutine, président de la Russie, en juin 2012. Certes, explique-t-il en reprenant l’analyse du journaliste israélien Isi Leibler, Poutin n’est pas devenu “un réel allié du peuple juif”, en raison de ses relations avec l’Iran et la Syrie ainsi que ses positions sur la Palestine. Cependant, il “semble avoir une réelle sympathie pour Israël” et sa visite indiquerait un refus de la Russie de participer à des efforts de destruction d’Israël.
L’évolution des relations entre la Russie et Israël, poursuit Winkler, invite à réfléchir de façon nouvelle sur la signification des chapitres 38 et 39 d’Ézéchiel, notamment sous l’angle du rôle de l’islam à la fin des temps:
“Nous voyons à présent s’élever au nord d’Israël [c’est nous qui soulignons] une nouvelle puissance, la Turquie, qui était autrefois bien disposée à l’égard d’Israël et qui est devenue pour ce pays une nation ennemie […] sous la direction du Premier ministre turc Erdogan. […] En réfléchissant à la signification des déclarations prophétiques de la Bible, il nous faut prendre en compte le développement qui s’est produit en Turquie.”
Je ne serais pas surpris de voir se répandre de telles révisions des lectures prophétiques dans des cercles chrétiens sionistes (des interprétations classiques associaient déjà à un Gog russe une constellation d’“alliés islamiques”, dont la Turquie). Du point de vue de l’historien, il est fascinant de voir comment ces scénarios s’adaptent à de nouvelles donnes politiques et stratégiques.