Comme beaucoup d’Européens, j’ai pendant longtemps ignoré les peintres américains du XIXe siècle: par préjugé, je n’imaginais même pas qu’il existait une production digne d’intérêt. J’avais révisé cette opinion lors d’un séjour à Oklahoma City, il y a près de quinze ans, en visitant le musée local: le Cowboy Hall of Fame, rebaptisé depuis National Cowboy & Western Heritage Museum. Dans la section consacrée à l’art de l’Ouest américain, j’avais découvert des œuvres de qualité de peintres (parfois formés en Europe) qui avaient pris pour sujet les impressionnants paysages de l’Amérique du Nord.
À Lausanne, je suis allé voir l’exposition ouverte le mois dernier au musée de la Fondation de l’Hermitage, Peindre l’Amérique: les artistes du Nouveau Monde (1830-1900) (27 juin-26 octobre 2014). Dans le beau catalogue qui accompagne l’exposition, le commissaire de celle-ci, William Hauptmann, souligne la méconnaissance dont a longtemps souffert la peinture américaine en Europe ainsi que le faible intérêt qu’elle rencontra aux États-Unis, en dehors de quelques artistes réputés. Mais tout cela change depuis la seconde décennie du XXe siècle. L’exposition de l’Hermitage offre une bonne occasion de se familiariser avec ces œuvres.
Cela m’a permis d’admirer de belles peintures, et de découvrir aussi d’autres aspects que les paysages, par exemple des scènes de la vie quotidienne ou les peintres américains de nature morte – jusqu’à ces insolites peintures de billets de banque, dont je ne pense pas qu’on trouve des équivalents en Europe à la même période. Si tout cela offre des regards éclairants sur le monde américain, les paysages, dans leur puissance et des jeux de lumière parfois extraordinaires, demeurent pour moi le pan le plus attirant de cette production artistique. Le visiteur peut aussi contempler quelques paysages tropicaux ou arctiques, comme ce voilier longeant un iceberg effleuré par une lumière dorée (Frederic Edwin Church, 1926-1900), qui orne le frontispice du catalogue.
La naissance de la photographie semble même avoir donné à ces peintres un élan supplémentaire. En regardant certaines de ces œuvres, je me disais que leur impact devait être encore plus fort il y 150 ans: ceux qui regardaient alors ces tableaux n’étaient pas encore bombardés d’images de tous côtés et sous toutes les formes; je soupçonne que leur réceptivité était beaucoup plus forte que la nôtre, tandis que chaque image que nous voyons aujourd’hui se trouve noyée dans un flux visuel permanent.
La nature américaine n’était pas un espace vierge avant l’arrivée des colons européens, bien sûr. Les portraits d’Indiens ont donc aussi leur part dans cette exposition. Ou encore, dans un paysage de l’Hudson avec un Indien, peint en 1848 par DeWitt Clinton Boutelle (1820-1884), nous voyons, face à un paysage immense, un Indien sur un promontoire rocheux, qui observe au loin des bateaux sur la rivière et, plus loin encore, une ville: “La tonalité mélancolique du tableau et le geste du personnage, la main sur le cœur, alertent le spectateur sur la destruction prochaine de la nature sauvage et la spoliation des terres indiennes.” (pp. 54-56)
Le catalogue mérite l’achat. Il est en vente sous le titre de l’exposition: Peindre l’Amérique. Les artistes du nouveau monde ( 1830-1900), Lausanne, La Bibliothèque des Arts, 2014, 184 p.