Il y aura bien des réflexions et observations à proposer sur la gestion du deuil et des pratiques funéraires durant ce temps de pandémie, avec l’impossibilité de célébrer des obsèques publiques et des limites parfois si strictes qu’elles permettaient, dans certains pays, la présence seulement de rares membres du cercle le plus restreint des proches. Je ne vais pas ici m’engager dans cette réflexion générale, mais relever un point sur lequel l’abbé Vincent Marville, prêtre de la paroisse Notre-Dame à Neuchâtel, a attiré mon attention : l’apparition de nouveaux rites à la fois personnalisés et délocalisés, dont la signification ne peut être identifiée que par ceux qui en sont informés.
Si l’émergence de nouveaux rites et de pratiques rituelles sur mesure pour toutes les étapes de la vie (naissance, mariage, décès — et parfois divorce) est un phénomène qui retient l’attention depuis des années et a permis l’apparition d’une nouvelle activité professionnelle de conseillers en rituels indépendants des confessions religieuses, ce qui se produit ici est d’un autre ordre : ces gestes peuvent compléter des rituels traditionnels, sans les remplacer, mais se trouvent directement liés à la situation de pandémie et à l’impossibilité de se réunir physiquement pour rendre hommage à la personne défunte. Dans le faire-part de décès que m’a communiqué l’abbé Marville, nous lisons cette phrase : « En souvenir d’Anne, nous vous proposons de porter une couleur vive le 6 mai prochain, jour de son 85e anniversaire. »
Je suis attentif depuis longtemps aux faire-part de décès et à ce qu’ils nous révèlent parfois sur l’évolution des croyances. J’ai commencé à m’intéresser depuis quelques jours à ce point précis et j’ai découvert d’autres exemples. Un faire-part, en soulignant que la pandémie « nous a éloignés physiquement, mais nous a rapprochés différemment », remercie les personnes ayant accompagné le défunt « par une chaîne lumineuse de bougies allumées depuis chez vous, afin qu’il ne parte pas tout seul ». Un autre invite les personnes ne pouvant venir à l’église « à allumer une bougie au moment de la célébration en sa mémoire ».
Si chaque personne se trouve seule à faire le grand passage, ces exemples illustrent l’accompagnement du décès par le cercle des proches et connaissances et rappellent que les grandes étapes de la vie ne sont pas seulement des affaires privées : la communauté y est traditionnellement associée, même si on l’oublie parfois aujourd’hui. La réduction obligée et non désirée de ces moments cruciaux à la sphère privée constitue une restriction forte — même violente — dont les préoccupations sanitaires ont peut-être négligé le poids (psychologique, spirituel, social). Ainsi, des stratégies individuelles tentent d’y remédier.