Récemment, lors d’une conférence, j’avais parmi mes auditeurs deux personnes assises côte à côte, mais dont les vues se trouvaient aux antipodes, comme le révéla le débat qui suivit mes propos.
Tous deux attachaient de l’importance à la dimension spirituelle de la vie humaine, mais dans des sens antagonistes. L’un se montrait attaché à la dimension intangible de la religion et estimait que les formulations de la foi ne pouvaient changer, quitte à s’opposer même aux autorités de son Église si elles s’éloignaient de ces fondements immuables et, selon lui, parfaitement conformes aussi aux conclusions de la raison judicieusement utilisée. L’autre, en revanche, suggérait que des professions de foi et interprétations théologiques remontant à de longs siècles n’étaient plus nécessairement adaptées à notre époque: il était donc ouvert aussi bien à de nouvelles interprétations de la foi qu’à de nouvelles révélations divines.
Ces approches différentes de la religion se retrouvent probablement dans toutes les traditions religieuses, avec l’infinie palette des nuances entre les deux positions. Elles soulèvent des questions cruciales, qui sont aussi à la base de bien des tensions au sein des organisations religieuses. Les religions, en tant que phénomènes sociaux, ne sont jamais immobiles: mais elles évoquent aussi un petit parfum de pérennité, si ce n’est d’éternité. La question est alors de déterminer ce qui peut être transformé et ce qui ne saurait l’être.
Une religion est-elle destinée à connaître un processus de mutation perpétuelle pour être «adaptée à son époque», quelle que soit la signification accordée à cette expression? Ou est-elle ce roc de stabilité sur lequel les croyants peuvent s’appuyer dans un monde mouvant, perpétuant un héritage séculaire et offrant une orientation dans un monde de plus en plus dépourvu de panneaux indicateurs spirituels? Si nous considérons les quêtes contemporaines, sans même aborder la question du fond, des cheminements se font dans les deux directions. L’attrait pour des formes (très) traditionnelles de religion est réel, y compris parmi des gens que rien ne prédestinait à ces choix. À l’inverse, d’autres personnes se trouvent à l’aise dans des environnements fluides, sans règles et croyances autres que celles qu’ils choisissent d’embrasser en mode personnel.
Tout cela renvoie à des attentes très différentes et à des représentations divergentes de la nature et de la fonction d’une religion ainsi que de sa place dans la société. Ce qui unit cependant les uns et les autres est le désir de ne pas se limiter à la dimension horizontale de l’existence — et le fait que les orientations religieuses se gèrent de façon de plus en plus individualisée dans la pratique, même si elles incorporent ensuite le croyant dans des réseaux affinitaires plus ou moins solides et denses.