Dans son édition du 6 juillet 2016, mon quotidien du matin, La Liberté, publie une lettre de lectrice qui plaide pour le choix du végétarisme, «comme l’ont fait par exemple Léonard de Vinci, Gandhi, Albert Einstein, Léon Tolstoï ou Albert Schweizer, tous de grands esprits de notre culture».
Bien entendu, comme toujours dans les textes prônant le végétarisme, l’auteur de ce texte oublie un végétarien célèbre: Adolf Hitler. Son végétarisme a été confirmé, il y a trois ans encore, par celle qui fut l’une de ses goûteuses dès 1942: âgée aujourd’hui de 95 ans, elle ne se souvient pas d’avoir une seule fois dû goûter de la viande ou du poisson (Daily Mail, 9 février 2013).
L’évocation de ce sujet irrite beaucoup les militants végétariens. De nombreux sites végétariens, en langue française également, soutiennent que le végétarisme d’Hitler est un mythe, ou qu’il n’était que partiel: il suffit d’introduire les mots-clefs «Hitler» et «végétarien» dans un moteur de recherche pour en trouver rapidement de nombreux exemples. Comme tout ce qui touche au IIIe Reich et au national-socialisme, la question du végétarisme de Hitler donne lieu à d’interminables controverses, par exemple pour la rédaction des notices de Wikipedia, comme le notait Annabelle Georgen («Quel type de végétarien était Hitler?», Slate, 2 août 2013). L’évocation des lois du IIIe Reich sur la protection des animaux donne lieu à de semblables passes d’armes, sans cesse recommencées.
L’argument récurrent d’un Hitler adepte du végétarisme a conduit aussi certains végétariens à voir le piège, comme l’illustre avec humour et en dessins une végane. Finalement, admettent-ils, cela ne prouve rien, pas plus que l’argument inverse «Gandhi était végétarien», quelle que soit la réalité historique.
Mais cela illustre la curieuse tendance, pour promouvoir n’importe quelle cause ou mettre en valeur n’importe quel groupe, à lui associer des ancêtres prestigieux ou des figures célèbres. Il y a quelques semaines, lors d’une soirée introductive sur la franc-maçonnerie à laquelle j’avais été invité, j’ai entendu l’évocation de plusieurs noms de franc-maçons prestigieux, dans l’histoire mondiale ou suisse romande.
Il est étonnant de voir combien des figures célèbres — dans les domaines politique, humanitaires, artistique, littéraire, sportif — jouent ainsi un rôle de «garant de moralité» et de légitimation. Alors que, tout compte fait, cela ne prouve rien, mais rassure ou contribue à conforter l’idée qu’il s’agit de quelque chose qui mérite l’intérêt et le respect — quitte à oublier, parfois, que même une personne brillante (ou connue) dans un domaine ou à une époque de sa vie peut divaguer sur d’autres sujets ou s’égarer à d’autres moments.