Depuis longtemps, je trouve passionnantes non seulement la situation présente, mais aussi l’histoire de mouvements religieux «non conformistes». Parmi ceux-ci, le mormonisme du 19 siècle est riche en épisodes étonnants et en rebondissements. Et je ne pense pas seulement ici à l’émergence de l’Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours aux États-Unis à partir de 1830, à sa rapide expansion et aux circonstances qui conduisirent à cette épopée de l’Ouest américain que fut la migration vers ce qui est aujourd’hui l’Utah, faisant de Salt Lake City la capitale de l’Église: il y eut aussi le dynamisme missionnaire du mouvement naissant, atteignant dès 1837 les Îles britanniques, et l’Europe francophone dès 1850.
J’ai eu l’occasion de me replonger brièvement dans mes dossiers sur l’histoire du mormonisme en Suisse, il y a quelques jours, en me préparant à répondre aux questions de Jean-Christophe Emery (RTSreligion, Radio Télévision Suisse) pour une émission radiophonique qui sera diffusée la semaine prochaine autour des réveils religieux en Suisse romande au 19e siècle. J’y raconte, entre autres histoires, celle de Thomas B.H. Stenhouse (1824-1882), premier missionnaire mormon en Suisse, qui arriva à Genève en décembre 1850 sans parler un mot de français et baptisa l’année suivante les premiers convertis sur territoire suisse.
En ouvrant ces dossiers, j’y ai retrouvé les photocopies des douze numéros du journal mensuel que Stenhouse publia à Lausanne durant l’année 1853: Le Réflecteur. Organe de l’Église de Jésus-Christ des Saints-des-derniers-jours. Le dernier numéro, en décembre, relate notamment la tenue de la première «Conférence générale» de l’Église en Suisse: 110 personnes y participaient.
Le Réflecteur fut le second périodique mormon en langue française: le premier, L’Étoile du Déseret, était paru en France en 1851-1852.
En 1990, un ami américain lui aussi passionné par l’histoire du mormonisme, Michael W. Homer, avait pris l’initiative de photocopier à mon intention et de m’envoyer la collection complète du Réflecteur. Celui-ci ne se trouve que dans de rares bibliothèques (dont celles de Lausanne et de Genève). 1990: c’était encore l’époque, pourtant si proche, où il fallait parfois de longs et patients efforts pour accéder à des périodiques anciens et peu fréquents.
Aujourd’hui, il n’est même plus nécessaire de quitter son logement: ce mensuel rare peut être librement consulté et téléchargé en PDF, par numéro, sur l’utile site La Feuille d’Olivier, spécialisé dans les ressources sur le mormonisme. Les curieux d’histoire y trouveront bien entendu aussi les numéros de L’Étoile du Déseret. Une fois de plus, je suis frappé de voir comment Internet a radicalement transformé la recherche de l’information et le travail du chercheur que je suis — même s’il faut toujours rappeler (notamment à des étudiants…) que tout n’est pas sur Internet et que la recherche de certains documents, même imprimés, mérite et demande des efforts. Pourtant, que de démarches compliquées sont devenues faciles.
Je pense à Stenhouse et à ces premiers mormons en Suisse: j’imagine comment ils envoyaient et cherchaient à distribuer les numéros de ce Réflecteur qu’ils faisaient imprimer. Ils ne pouvaient imaginer que ce mensuel se retrouverait, plus de cent cinquante ans après, accessible instantanément à des lecteurs aux quatre coins du monde. Et que non seulement la recherche, mais aussi l’activité missionnaire des mouvements religieux se trouveraient profondément transformées par Internet et les réseaux sociaux.