Après les attentats de Paris, je lis le dernier numéro de Dabiq, magazine de l’État islamique (EI), et le second numéro d’Al Risalah, publié en anglais par son concurrent syrien, le groupe Jabhat al Nusra (JN), lié à Al Qaïda. Dans le contexte de surenchère de la violence qui caractérise le groupe EI, je découvre un article qui vante le caractère très humain et très islamique des châtiments et exécutions capitales que pratique JN, avec l’intention manifeste de se placer en contraste favorable par rapport aux frères ennemis de l’EI, qualifiés d’«extrémistes».
L’article raconte le châtiment infligé à trois personnes. Deux prisonniers, tout d’abord, qui avaient ouvertement maudit Allah, «un acte de mécréance». Ils avaient donc été condamnés à recevoir 150 coups de fouet, avec l’avertissement qu’ils seraient exécutés en cas de récidive. Le reporter djihadiste raconte la scène. Extraits choisis:
«Ce que j’ai vu n’était ni doux ni excessif au point que les sujets se seraient effondrés. Pendant qu’ils étaient frappés, le juge observait constamment la manière dont les gardes les fouettaient et intervenaient parfois si ce n’était pas fait correctement. Une fois […] justice rendue, à ma grande surprise, les spectateurs se précipitèrent pour féliciter les deux hommes. Ce fut un moment vraiment joyeux […]. Pour le coupable, être puni d’une telle façon est un moyen d’expier son péché, et pour la société, cela est dissuasif et rappelle les conséquences encourues par qui viole les lois d’Allah.»
Le troisième condamné était un soldat du régime, qui avait tenté de fuir et avait été condamné à mort. «Le prisonnier fut extrait du véhicule pour la dernière fois et on pouvait remarquer les signes de peur sur son visage — il savait que son heure était venue.» Mais l’auteur de l’article avertit ses lecteurs que, s’ils s’attendent à une «description saisissante d’une tête séparée de son corps», ils vont être déçus — référence transparente aux méthodes de l’EI. Une personne présente prête son arme, afin d’avoir part aux récompenses (divines) supposées accompagner l’exécution. Après un petit discours expliquant le péché des sunnites qui combattent leurs frères dans les rangs du régime de Damas, le juge principal «tendit son bras, tournant le pistolet vers le ciel et, tout en le baissant pour s’apprêter à tirer, supplia»:
«Ô Allah, ceci est pour nos sœurs qui ont été violées dans les prisons et pour ceux qui se trouvent dans les camps de réfugiés. Ô Allah, ceci est en revanche pour [ce qui est arrivé à] nos enfants!»
Il pressa sur la gâchette, la balle traversa la tête du prisonnier derrière lequel se tenait l’exécuteur, tandis que la foule acclama en criant «Allahu Akbar!». «Justice a été faite et, si cet homme a été sincère dans son repentir […] il sera mort en tant que musulman.» L’auteur ajoute qu’un de ses compagnons, récemment arrivé, se réjouit d’avoir pu assister à une exécution et de voir la loi divine ainsi appliquée.
Il est troublant d’observer la montée d’une violence de plus en plus extrême au nom d’idéologies djihadistes. Cela a commencé par la diffusion large des attentats suicides à partir des années 1990, accompagnée de l’effritement des barrières morales interdisant de s’en prendre de façon indiscriminée à des cibles civiles — au point qu’un attentat suicide, dans certaines régions, semble être devenu «banal» si l’on en juge par le traitement que lui réservent les médias internationaux. L’EI a fait tomber d’autres limites et a transformé les assassinats de prisonniers en arguments de propagande et de terreur. Qui aurait pensé, il y a quinze ans, que des partisans d’Al Qaïda en arriveraient un jour se présenter comme des djihadistes pratiquant une «violence raisonnable» en comparaison avec leurs concurrents et féroces opposants?