Le personnage a déjà derrière lui la carrière du genre de celles qui font la légende soigneusement cultivée du Mossad, le service de renseignement extérieur d’Israël — même si, à ses débuts, cette jeune recrue issue d’une famille appartenant au courant «national religieux» faisait exception en portant un kippa (il y a renoncé par la suite), à une époque où l’on ne croisait guère de juifs religieux dans les rangs du service, nous apprend le Jerusalem Report (25 janvier 2016) dans l’article qu’il lui consacre. Yossi Cohen (né en 1961) a en effet pris la direction du Mossad au mois de janvier.
Il avait commencé par superviser des agents arabes en Europe, avait dirigé une antenne du Mossad dans une grande ville européenne, avant de prendre des responsabilités de coordination à la centrale du service en Israël. Mais surtout, dans la seconde moitié des années 2000, explique l’article, il avait été chargé des «opérations spéciales» pour empêcher l’Iran d’acquérir l’arme nucléaire. Durant cette période, plusieurs experts nucléaires iraniens furent tués, d’autres blessés — «et probablement beaucoup d’autres avertis qu’ils feraient mieux de cesser de travailler pour le projet militaire secret»… Ce fut aussi l’époque durant laquelle le virus informatique Stuxnet causa de gros dégâts au système de gestion des centrifugeuses pour l’enrichissement de l’uranium à Natanz.
Cependant, précise l’article signé par Yossi Melman (coauteur du livre Spies Against Armageddon et blogueur sur le renseignement israélien), «il est difficile de déterminer si les opérations du Mossad, combinées avec les sanctions internationales, ont empêché l’Iran d’assembler une bombe nucléaire ou si Téhéran a pris la décision calculée de s’arrêter avant de produire une vraie bombe».
Cohen, qui entend rendre le Mossad plus «combatif», partage avec le premier ministre Benjamin Netanyahu la conviction que «l’Iran reste l’ennemi numéro un d’Israël, qu’il continue de soutenir le terrorisme et n’a jamais renoncé à son objectif d’acquérir l’arme nucléaire». Cohen parle l’arabe et sera notamment chargé de développer des liens avec les ennemis arabes de Téhéran, et donc de convaincre l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, la Jordanie et l’Égypte, voire la Turquie, de former avec Israël une coalition anti-iranienne, précise Melman.
«Les ennemis de mes ennemis…»: la vieille règle fonctionne toujours. Mais, dans le contexte plus que tourmenté du Proche-Orient, on se prend à songer aux conséquences à long terme qu’auront ces choix stratégiques: les rapports de force et même les frontières de cette région sont en train de se changer, mais bien malin qui pourrait prédire ce qu’il en sortira, après toutes les prévisions non réalisées depuis le début de cette décennie. On peut s’interroger sur la part qu’occupent, dans les prises de décision, les convictions idéologiques des différents acteurs et les considérations de Realpolitik, qui conduisent aussi à d’étranges alliances dont chacun espère sortir gagnant, mais dont nul ne peut deviner les résultats. Un jeu qui ne se joue par sur une carte avec des pions, et qui peut affecter — pour le meilleur ou pour le pire — la vie de millions de personnes dans des régions entières.