Le journaliste était venu me rendre visite à Fribourg au début de l’été dernier, accompagné d’une (brillante) traductrice et de quelques autres personnes. Il travaillait pour le Seikyo Shimbun, un journal qui appartient au mouvement bouddhiste Soka Gakkai. « Avec un tirage de six millions d’exemplaires, m’apprend Wikipedia, il est le troisième journal le plus lu dans le monde. » La journée était probablement la plus chaude de l’année dans ma ville, et la température dans mon bureau était plutôt proche de celle d’un sauna. Nous avions cependant eu un long entretien (en anglais, traduit en japonais), dont les extraits choisis m’avaient ensuite été soumis pour contrôle et révision. C’est ainsi que j’ai eu le plaisir de me retrouver en première page et sur la plus grande partie de la page 3 de l’édition du samedi 21 octobre 2017 du Seikyo Shimbun, dans la rubrique Global Watch. La semaine dernière, j’ai reçu quelques exemplaires justificatifs.
S’il m’est arrivé, à certaines occasions, d’apparaître dans des émissions télévisées qui atteignaient un très large public, je n’avais jamais encore donné un entretien potentiellement lu par six millions de lecteurs. Mais ce qui me fascine surtout est un entretien qui me fait, en quelque sorte, « parler en japonais ». Il m’est arrivé d’avoir des articles traduits en japonais, mais dans des périodiques au tirage modeste. Chaque fois avec un mélange d’amusement et de petite inquiétude : la traduction était-elle parvenue à rendre mes réflexions, avec leurs nuances et inflexions qu’il est si difficile de faire sentir de la même façon dans différentes langues ?
Je suis certain que les traducteurs du Seikyo Shimbun ont un excellent niveau et se livrent à un travail consciencieux. Mais comment des lecteurs japonais auront-ils perçu mes observations sur l’évolution et les perspectives des religions ? En attendant, je contemple ces beaux et (pour moi) indéchiffrables caractères japonais, en me demandant si ma pensée s’est subtilement nipponisée en passant dans le moule d’une autre langue.