Au début de cette année, mon attention avait été attirée par un article de la Neue Zürcher Zeitung, intitulé « Trump weckt Urängste in Europa » (16 février 2024). On pourrait traduire par la phrase : « Trump réveille des peurs profondes en Europe », mais Urängste est un mot plus fort en allemand, évoquant des peurs viscérales, archaïques, ancestrales. L’article portait sur le retour de discussions sur les capacités européennes en matière de dissuasion nucléaire à la lumière d’une possible élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis, face à un candidat qui déclarait tout haut que le moment était venu pour les Européens d’assumer les coûts de leur défense sans toujours se reposer sur une assistance américaine. Le politologue James Davis (Université de Saint-Gall) expliquait que les déclarations de Trump réactivaient la crainte existentielle des dirigeants européens de se retrouver laissés à leur propre sort par leur allié américain lors d’une crise très grave.
Maintenant que Donald Trump est élu, ces préoccupations et les interrogations sur les conséquences de cette élection pour l’OTAN ne font que croître. Le futur Président a répété à plusieurs reprises que les pays européens pourraient compter sur les États-Unis seulement à condition de respecter leurs obligations budgétaires en matière de défense. Dans un contexte international tendu, tous les membres de l’OTAN devraient consacrer au moins 2 % de leur PIB aux dépenses militaires (ce qui n’est pas encore le cas aujourd’hui), tandis que des figures européennes soulignent la nécessité d’un véritable pilier européen de défense.
La question d’une défense européenne commune et de la possibilité de mettre en œuvre celle-ci représente un débat récurrent depuis les années qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale, fortement relancé par la guerre en Ukraine et maintenant par les possibles réorientations de la politique de sécurité américaine. Et depuis la lecture de cet article du mois de février, chaque fois que je lis ou entends des commentaires à ce sujet, c’est une anecdote remontant au milieu des années 1990 qui me revient à l’esprit.
Je m’étais rendu à Paris pour un petit colloque sur les questions d’une défense européenne, dans un contexte qui était celui du nouvel environnement ayant suivi la guerre froide. Parmi les intervenants se trouvait une diplomate américaine, spécialiste du domaine de la sécurité, dont j’ai depuis longtemps oublié le nom. Dans le débat qui avait suivi son exposé, un participant français lui demanda si vraiment l’Europe pourrait toujours compter sur l’aide des États-Unis en cas de conflit ? « Je ne peux pas imaginer que les États-Unis ne viendraient pas au secours de l’Europe », commença par répondre la diplomate, avant d’ajouter avec un éclatant sourire cet avertissement : « But nothing is ever certain in life... » – « Mais rien n’est jamais sûr dans la vie… »
Pour des réflexions sur la défense européenne commune dans le sillage de la guerre en Ukraine, je signale un ouvrage collectif en français publié par l’Université de Genève, en téléchargement libre : Sandro Gozi at al., Une défense européenne autonome est-elle encore possible ?, décembre 2023. Téléchargement : https://www.unige.ch/gsi/files/4517/0195/9008/XIV_Une_defense_europeenne_autonome_est-elle_encore_possible__dec_2023.pdf.