Le tramway reste un moyen bien commode pour circuler à travers certains quartiers centraux d’Istanbul. Mais la population augmente, et il me semble fréquenté par des voyageurs toujours plus nombreux. Tel est le cas, ce matin de juin: la plupart des passagers doivent rester debout.
Sur un siège, un grand-père est assis. À sa gauche, son épouse; à sa droite, son petit-fils, âgé de 5 ans au plus. L’homme voit le tramway se remplir: il veut prendre son petit-fils sur ses genoux, afin de céder une place. L’enfant entre dans une colère noire: il se débat, s’accroche au siège, fait preuve d’une force peu commune pour défendre sa place, et lancerait sans hésiter un coup de pied à qui s’aviserait de la lui prendre. Face à la résistance acharnée du bambin, le grand-père juge plus sage de céder, tout en lui manifestant gentiment sa désapprobation. Un passager, assis en face, s’amuse de la situation et, avec douceur, essaie d’expliquer à l’enfant sceptique que son grand-père a raison. Il lui caresse les cheveux en quittant le tramway.
Arrêt suivant: une dame âgée monte à bord. Nouvelle tentative du grand-père – nouvelle réaction indignée du petit garçon. Sans se fâcher, le grand-père se lève et cède sa propre place à la passagère.
Encore un arrêt: cette fois-ci, c’est au tour d’une dame handicapée de monter, avec ses béquilles. Un instant, je crois assister à un petit miracle: l’enfant se lève. Aurait-il enfin compris? Non: c’est tout simplement à cet arrêt qu’il doit descendre avec ses grands-parents.
L’enfant-roi deviendrait-il un modèle universel? Le mois dernier, dans la NZZ am Sonntag, une enseignante, responsable d’une association d’institutrices de jardins d’enfants, partageait ses observations: autrefois, écrivait-elle, à la rentrée scolaire, les écoles voyaient arriver vingt enfants; aujourd’hui, on leur confie vingt petits princes et princesses, avec des parents royaux aux aguets pour défendre leur progéniture…