Le 11 décembre 2013, la Cour Suprême du Royaume-Uni a conclu qu’une chapelle de l’Église de Scientologie à Londres devait être reconnue comme “lieu de réunion pour culte religieux” (religious worship) au sens de la section 2 du Places of Worship Registration Act. Cette décision faisait suite à un appel de scientologues qui désiraient faire célébrer dans cette chapelle leur mariage par une ministre du culte scientologue. En Angleterre, un mariage religieux est reconnu légalement, sans mariage civil, s’il est célébré dans un lieu de culte enregistré: il y en a aujourd’hui des milliers. Mais, en 1970, la Cour d’Appel avait refusé d’accorder le statut de lieu de culte enregistré à la chapelle scientologique de Saint Hill Manor (East Grinstead, Sussex). En effet, avaient estimé alors les juges, les pratiques scientologiques ne pouvaient être considérées comme “culte religieux”. Lord Denning soutenait alors que la Scientologie était plutôt une “philosophie de l’existence”. Cette décision de 1970 bloquait la possibilité d’inclure la chapelle londonienne dans la liste des lieux de culte enregistrés; en revanche, en Écosse, une célébration de mariage scientologique “reconnue” avait pu se tenir en 2007.
C’est une autre conclusion à laquelle sont parvenus cette semaine Lord Toulson et ses collègues. Ils auraient pu se borner à définir si la chapelle est un “lieu de réunion pour culte religieux”: mais, souligne Lord Toulson, en tenant compte des motivations de la décision de 1970, cela exigeait de commencer par clarifier si la Scientologie est ou non une religion. Il souligne que les définitions ont longtemps été marquées par des présupposés théistes et un arrière-plan judéo-chrétien. Mais le terme de “religion ne devrait pas être limité aux religions qui reconnaissent une divinité suprême”; d’ailleurs, des groupes bouddhistes ont pu enregistrer des lieux de culte reconnus, sans nécessité d’afficher une croyance en Dieu (et les scientologues, ajoute-t-il, affirment reconnaître une divinité suprême, mais “d’une nature abstraite et impersonnelle”). En ce qui concerne la loi sur les organisations charitables, rappelle-t-il, le Charities Act 2011 inclut également les religions n’ayant pas de “croyance en un dieu”.
Pour les besoins de définition du Places of Worship Registration Act, Lord Toulson adopte la définition selon laquelle il s’agit d’un “système de croyance spirituel ou non séculier […] qui entend expliquer la place de l’humanité dans l’univers et sa relation avec l’infini, et enseigner à ses adhérents comment vivre leurs vies en conformité avec l’entendement spirituel associé à ce système de croyance”. Toulson évite délibérément le mot “surnaturel”, à cause de ses connotations, et comprend l’expression de ”système de croyance spirituel ou non séculier” comment allant au delà de ce qui peut être perçu par les sens ou affirmé scientifiquement. Quant à un “culte religieux”, il ne requiert pas selon lui l’adoration d’une divinité. Il ajoute qu’il n’appartient pas à des juges d’entrer dans des considérations théologiques sur le type de relations entretenues par les membres d’un groupe avec l’infini. La chapelle scientologique de Londres est donc un ”lieu de réunion pour culte religieux” et doit être enregistrée comme telle.
Pour la Scientologie, qui déploie des efforts persévérants pour se faire reconnaître comme religion, la décision de la Cour Suprême britannique est une victoire. L’Église de Scientologie s’abstient pour l’instant de dire si elle va tenter d’obtenir certaines exemptions de taxes qui pourraient découler de cette décision: il est vraisemblable qu’elle le fera (des hommes politiques britanniques s’en inquiètent déjà), mais ce n’est pas le plus important pour elle. Indépendamment de tout avantage concret qui pourrait en découler, c’est avant tout le résultat obtenu en termes de statut et d’image qui compte.
Comme le savent tous les chercheurs, la question de la définition de la religion est un débat sans fin, avec une multiplicité d’approches possibles. La Scientologie est un cas “à la frontière”, qui a souvent suscité interrogations et perplexité des observateurs — d’autant plus que le mouvement joue différentes partitions simultanément. Mais autorités et tribunaux sont amenés à se prononcer sur de telles questions pour donner des réponses pratiques. Et il ne fait pas de doute que les frontières de ce qui peut être considéré comme religieux dans les sociétés occidentales bougent: du point de vue juridique, la définition de la religion proposée par Lord Toulson et la décision prise le 11 décembre tiennent la route. Si l’attention est attirée dans un premier temps par les implications spécifiques pour la Scientologie, c’est avant l’évolution de ce que nous pouvons définir comme “religieux” qui constitue l’aspect le plus important de ce jugement.
Le texte intégral du jugement du 11 décembre 2013 peut être téléchargé au format PDF: http://www.supremecourt.gov.uk/decided-cases/docs/UKSC_2013_0030_Judgment.pdf