Il y a quelques jours est parue l’édition anglaise du N° 4 de Dabiq, le magazine de l’État islamique. La traduction française suivra prochainement. Nous sommes nombreux à le lire pour essayer de comprendre la logique et les objectifs de ces combattants animés par des convictions idéologiques fanatiques, dirigés par des stratèges d’une surprenante habileté, qui tentent de jeter les bases d’un État totalitaire sous le drapeau du Califat, en rupture délibérée avec le système international tel qu’il existe aujourd’hui.
Face à des adversaires dont la puissance est bien plus grande que la sienne, mais que sa propagande met au défi de venir l’affronter sur son propre terrain, l’État islamique appelle depuis quelques semaines ses sympathisants du monde entier à mener des actions violentes dans les pays qui lancent des frappes aériennes contre ses troupes. Cela n’est pas étonnant. Ce qui retient l’attention est l’incitation ouverte à agir par n’importe quel moyen, sans coordination, sans consultation. Alors que les traditions religieuses ont souvent tenté, à défaut de prôner le pacifisme, au moins d’encadrer la violence, de lui fixer certaines règles et bornes, les récents appels de l’État islamique font éclater ces limites.
Dans les extraits d’un discours du porte-parole de l’État islamique, nous lisons: “Si vous pouvez tuer un Américain ou Européen mécréant — spécialement les méchants et sales Français — ou tout autre mécréant d’entre les mécréants faisant la guerre, y compris les citoyens des pays qui sont entrés en coalition contre l’État islamique, alors remettez-vous en à Allah, et tuez-le de toute manière ou façon que ce soit. Ne demandez conseil à quiconque et ne cherchez le verdict de quiconque. Tuez le mécréant, qu’il soit civil ou militaire […].“ Et pour ne laisser aucun doute sur le propos, une photographie en regard montre des habitants d’une ville occidentale dans la rue, sur le chemin du travail, avec la légende: ”«Civils» croisés”.
Dans nombre de cas de violence à connotation (politico-)religieuse à l’époque contemporaine, pas seulement en contexte musulman, la personne projetant un assassinat au nom de la cause ou un acte de violence tentait d’obtenir l’approbation ou la bénédiction d’une figure religieuse respectée: ici, toute réserve face à une action purement individuelle, décidée du propre chef de son auteur, s’évanouit — il n’y a plus d’avis à demander à qui que ce soit avant d’agir.
Il reste à espérer que des inhibitions ou les difficultés imprévues qui peuvent surgir sur la route de celui qui planifie une action violente limiteront le nombre d’actes de violence aveugle que de tels appels pourraient inspirer.
Il y a quelques années, le N° 2 (automne 2010) du magazine Inspire (que publiait Al Qaïda dans la péninsule arabique) contenait des suggestions d’actions possibles pour causer un carnage dans le cadre du “djihad individuel” (pp. 53-57), ne demandant pas une grande préparation pour certaines: “Tout ce qui est nécessaire est d’être disposé à donner sa vie pour Allah.” Il y a eu des cas isolés de tels actes en Occident, mais pas la vague qu’espéraient probablement les rédacteurs (et certaines méthodes suggérées n’ont jamais été utilisées, à ma connaissance). Ceux qui s’exaltent sur Internet pour la cause djihadiste ne sont pas tous prêts à y laisser leur peau; d’autres auront des scrupules face à une violence indiscriminés. Cependant, les risques d’actions individuelles imprévisibles et potentiellement meurtrières augmentent avec l’apparition d’aspirants djihadistes de plus en plus jeunes, la diffusion plus large que jamais du matériel djihadiste et le retour de combattants aguerris.