J’ai partagé sur Twitter un article de Foreign Policy, intitulé «Welcome to the Cemetery of Traitors» (29 juillet 2016). Noah Blaser y raconte sa visite à Ballica, une lointaine banlieue d’Istanbul, où un cimetière a été ouvert pour accueillir les dépouilles de soldats ayant participé au coup d’État manqué du 15 juillet dernier. Un défunt a déjà été enterrée dans une tombe anonyme: ses propres parents ont refusé de recevoir le corps du «traître», un major qui a tiré sur des civils. Trois fosses sontprêtes pour accueillir les suivants. Un panneau à l’entrée annonce: Cimetière des traîtres. «Ceux qui passeront devant ce cimetière les maudiront», a déclaré le maire d’Istanbul.
Tout le monde n’est pas de cet avis, selon les avis de simples habitants de la localité, recueillis par Blaser. Si certains sont indignés qu’on leur impose la présence de «traîtres», d’autres réagissent de façon plus mesurée, à l’image de cet homme, qui explique au journaliste: «Tout être humain devrait avoir le droit d’être enterré dignement, quel que soit son passé. Jamais dans l’histoire nous n’avons créé quelque chose comme ce cimetière.»
Un correspondant turc a réagi à mon tweet en me rappelant que, partout dans le monde, il existe des cimetières ou des tombes pour ceux dont personne ne veut s’occuper de la dépouille. Il m’envoie un article de Terence McCoy, publié l’an dernier dans le Washington Post (19 juillet 2015), sur un cimetière de Washington qui accueille les corps de pauvres dont personne ne veut. Aucune pierre tombale ne marque leur dernière demeure: «Invisibles dans la vie, ils sont invisibles aussi dans la mort.»
J’ai remercié mon correspondant pour cet article, tout en soulignant que ce n’est pas la même chose: il ne s’agit pas d’une catégorie spécifique vouée à l’opprobre public. Mais il a raison de dire que cette question ne se pose pas qu’en Turquie. Quand une personne est associée à une cause ou à des actes rejetés par la majorité, les cas de réticence à l’accueillir dans un cimetière ne sont pas rares. Parfois, il s’agit aussi d’éviter les pèlerinages de sympathisants d’une cause discréditée sur la tombe d’un de ses représentants. On se souvient de l’annonce selon laquelle le cadavre de Ben Laden avait été jeté à la mer. La même année 2011, en accord avec la famille, une municipalité de Bavière avait décidé de détruire la tombe de Rudolf Hess, pour prévenir les rassemblements autour de ce site; mais ses restes avaient quand même reposé durant vingt-quatre ans dans ce cimetière, conformément à ses dernières volontés.
Le même problème surgit pour les dépouilles de terroristes: ainsi, à Saint-Étienne-du-Rouvray, la communauté musulmane locale ne veut pas que le corps d’un des deux assassins du P. Jacques Hamel repose dans l’un des carrés musulmans de la localité. Sa famille ne s’est pas manifestée pour organiser l’inhumation. Des représentants de la communauté expliquent: «On ne va pas salir l’islam avec cette personne. Nous ne participerons ni à la toilette mortuaire, ni à l’inhumation.» (Le Monde, 30 juillet 2016)