Cela faisait longtemps que je ne l’avais plus vu. Aujourd’hui, à la faveur d’une journée hivernale un peu plus douce, il était à nouveau assis sur le banc de l’abribus proche de chez moi – bouffi, le regard vague, un paquet de canettes de bière à ses pieds, qu’il boit l’une après l’autre, lentement mais avec persévérance. Cela semble être sa principale occupation quotidienne: son soutien déterminé à l’industrie brassicole ne le rend probablement pas apte à faire autre chose. De quoi vit-il? Sans doute une rente d’invalide. Il n’est pourtant pas vieux et apte à se déplacer à pied, s’il le faut.
Cette rencontre m’a rappelé une scène de l’été dernier. Le paisible buveur de bière était assis à sa place habituelle, avec les provisions nécessaires. Voici que s’approcha de l’arrêt du bus un rouquin qui traverse parfois le quartier dans un état inhabituel d’excitation (rassurez-vous, outre le soussigné, la plupart des autres habitants sont plus ou moins “normaux”). Il était agité ce jour-là. Il marchait en criant, une guitare à la main et un gros carton sous l’autre bras.
À peine arrêté pour attendre le bus, il déposa son carton et en sortit une bouteille de whisky, qu’il ouvrit aussitôt pour se désaltérer.
Alors, émergeant de sa brume intérieure, le buveur de bière jeta sur la scène un regard sévère et lança sentencieusement à sa voisine: “S’il croit que ça va l’améliorer, de boire comme ça…”