La semaine dernière, poursuivant une fulgurante offensive, les forces de l’organisation de l’État islamique ont pris le contrôle de la ville de Lausanne, en Suisse. (Ne me demandez pas comment elles sont arrivées là, les étapes précédentes de leur progression restent floues.)
J’habite à 45 minutes en train de Lausanne, dans une ville qui poursuit sa paisible existence, apparemment hors d’atteinte des troupes de l’État islamique. Mais bien entendu, pas question de manquer une telle occasion de s’instruire: apprenant que les représentants de l’État islamique dans la ville nouvellement conquise de Lausanne organisent une séance d’information pour la population, je décide que mon devoir de chercheur est d’observer cela de plus près, et je m’empresse de prendre le train pour Lausanne. (Ne me demandez pas pourquoi les Chemins de fer fédéraux continuent de circuler tranquillement vers les villes passées sous le contrôle de l’État islamique: nous sommes en Suisse, il est donc normal que les trains circulent, et de préférence à l’heure.)
J’arrive à Lausanne et vais prendre place vers le fond de la grande salle où se tient la réunion. Il n’y a que des hommes, les participants sont barbus comme moi, et il me semble donc remplir toutes les conditions pour un travail discret d’observation participante.
Manque de chance: alors que je commence à prendre consciencieusement mes notes en auditeur attentif, je remarque soudain que quelques militants de l’État islamique, discrètement installés dans différents points de la salle m’ont repéré — c’est parfois gênant, la notoriété du chercheur! J’essaie discrètement de me déplacer vers un autre coin de la salle, mais les islamistes barbus et vêtus à l’afghane me suivent et m’entourent sans en avoir l’air.
Je leur explique poliment que j’ai malheureusement d’autres obligations et que je suis au regret de devoir quitter la réunion, malgré tout l’intérêt que j’éprouve pour leur message. Mais ils me font comprendre fermement que ce n’est plus moi qui décide et que je ne rentrerai pas à Fribourg de sitôt.
Soudain, je comprends que mon espérance de vie vient de se raccourcir considérablement…………
………… et c’est alors, en ce matin du mois d’août, que je me réveille. Intense sentiment de soulagement: ce n’était donc qu’un mauvais rêve, et j’ai peut-être encore quelques années de productives recherches devant moi.
Ce rêve bizarre me rappelle une session d’un colloque académique, il y a une vingtaine d’années aux États-Unis, sur les terrains à risque, et cette chercheuse qui, ayant travaillé sur un terrain potentiellement dangereux (risques de violence physique à son encontre), racontait n’avoir même pas voulu voir le danger, tant elle était passionnée par la recherche elle-même.
Bon, je crois pourtant que, si une occasion de terrain du genre de celle de mon rêve se présente un jour, j’y réfléchirai à deux fois!
Je profite de ce billet pour signaler que Religioscope vient de publier une étude d’Olivier Moos sur l’État islamique: elle peut être téléchargée au format PDF à partir de la page de présentation sur le site.