En attente de correspondance dans une gare française, la semaine dernière, j’ai acheté — comme je le fais souvent — quelques journaux et périodiques que je ne trouve pas dans les kiosques en Suisse. Parmi ceux-ci se trouvait le petit « quotidien d’opposition catholique et nationale » Présent, dont la sensibilité religieuse est clairement traditionnelle. Mon attention avait été attirée par le titre de première page sur « Le scandale des prières de rue » (prières musulmanes, bien sûr). Mais c’est un article en deuxième page qui inspire ce billet : une chronique d’Alain Sanders sur la « révolte du bikini » en Algérie. Le sujet est mentionné par de nombreux médias cet été. Malgré les campagnes pour dissuader le port du bikini, des milliers de femmes algériennes entendent braver la pression et défendre leur liberté de se rendre à la plage dans la tenue de leur choix. Sanders les félicite de se battre « pour avoir le droit tout simple, tout bête, de pouvoir se baigner en maillot une ou deux pièces ».
Une fois de plus, nous voyons des objets devenir des symboles, mais leur statut est mouvant. En effet, si Présent avait été publié vers 1950, au moment où la mode du bikini commençait à prendre son essor, je doute que ce journal aurait été un enthousiaste soutien de cette nouvelle mode balnéaire : il est vrai que, à cette époque, cela n’avait rien à voir avec l’islam. Dans un article publié en 2013, Niamh Cullen (University College, Dublin) a examiné l’attitude de l’important magazine catholique italien Famiglia Cristiana sur les questions de mode féminine entre 1954 et 1968. Dans une période de changements sociaux rapides, l’Église catholique se préoccupait des vêtements et de préserver la moralité face à de nouvelles modes (par exemple la minijupe des années 1960). Cullen rappelle que la vénération de Maria Goretti, canonisée en 1950 pour avoir préféré perdre la vie plutôt que sa virginité lors d’une tentative de viol, était proposée comme le modèle d’un idéal moral élevé. À vrai dire, l’analyse des prises de position du magazine révèle un glissement et de progressives concessions : alors qu’une réponse à une lettre de lecteurs en 1950 était intitulée « La tragédie du [costume de bain] deux pièces », une réponse à une mère qui demandait — en 1968 — si elle devait accepter la demande de sa fille de lui acheter un bikini expliquait qu’il était certes « moralement faux de porter un bikini », mais qu’un refus pur et simple risquait de lui aliéner sa fille. Dans les années 1960, les rédacteurs de Famiglia Cristiana avaient conscience de perdre la « bataille vestimentaire », conclut Cullen.
Il y a une soixantaine d’années, des catholiques voyaient la vogue du bikini comme un signe de perte du sens moral. Aujourd’hui, il est devenu pour eux un symbole de résistance à l’islamisation.
Niamh Cullen, « Morals, modern identities and the Catholic woman: fashion in Famiglia Cristiana, 1954–1968 », Journal of Modern Italian Studies, 18/1, 2013, pp. 33-52