Je ne photographie pas chaque miche de pain au moment de l’entamer. Mais celle-ci avait une petite histoire qui mérite d’être racontée : celle d’un geste désintéressé, d’un acte de gentillesse. Par les temps que nous vivons, il vaut la peine de rappeler que nous avons l’occasion de rencontrer beaucoup de personnes bienveillantes.
C’était une chaude soirée de la fin du mois de juin 2023. Je me rendais à une invitation à Vevey, sympathique petite ville suisse sur les rives du lac Léman. L’heure de la fermeture des magasins sonnait. En route vers mon rendez-vous, je me rendis compte que j’avais oublié d’acheter du pain pour le lendemain matin. Dans les quelques boulangeries encore ouvertes sur mon chemin, les rayons étaient déjà vides, tandis que les autres avaient déjà fermé leurs portes.
Ultime tentative dans une boulangerie dont les lumières s’éteignaient, tandis qu’en sortait une jeune femme. « Avez-vous encore du pain ? » — « Non, et nous fermons », me répondit une employée qui s’apprêtait à tourner la clef dans la serrure. Un peu dépité — mais après tout, ce n’était pas bien grave — j’allais m’éloigner quand je vis la jeune femme inconnue qui venait de sortir s’approcher de moi avec sa bicyclette. « Je me rends compte que j’ai acheté beaucoup de pain : prenez celui-ci », me dit-elle en me tendant une miche. Je me sentais confus : était-elle sûre que cela ne lui manquerait pas ? et si elle voulait vraiment me donner ce pain, combien lui devais-je ? L’inconnue ne voulut pas accepter un seul centime, me dit que c’était un cadeau et enfourcha son vélo en m’adressant un sourire.
Pour tout compléter, un homme assis à la terrasse en face de boulangerie m’invita à venir prendre un apéritif avec lui : il s’agissait d’un homme que j’avais rencontré une seule fois, le temps d’une pause-café, trente ans plus tôt en Suisse alémanique, parce que nous étions alors assis à deux tables voisines sans nous connaître, et qui se souvenait de notre conversation.
Deux signes de chaleur humaine en moins de cinq minutes ! Je ne pensais pas, en si peu de temps, recevoir de telles confirmations de la bonne atmosphère que j’ai toujours ressentie à Vevey. Et le lendemain, à l’heure du petit déjeuner, cette miche de pain avait le goût savoureux de la bienveillance.