Un grand merci à Sara Teinturier, une chercheuse française qui étudie les reconfigurations du religieux dans les sociétés contemporaines et travaille depuis 2015 au Canada, pour avoir attiré l’attention des lecteurs de sa page Facebook sur une bande dessinée que je me suis procurée aussitôt. Son auteur est Jean-Sébastien Bérubé, un Québecois auteur de plusieurs albums déjà, qui raconte dans une très lisible BD de plus de 200 pages Comment je ne suis pas devenu moine (Futuropolis). C’est sur son expérience personnelle que s’appuie l’auteur pour nous entraîner dans un récit qui commence par l’intérêt adolescent pour le bouddhisme tibétain. « Je lisais tout ce que je pouvais trouver sur le sujet. Les livres du Dalaï-Lama, les voyages d’Alexandra David-Néel, le Troisième Œil de Lobsang Rampa… les bandes dessinées Le Lama Blanc, Jonathan et, bien sûr, Tintin au Tibet. » Avec ces lectures, le Tibet « s’est imposé dans mon esprit comme une contrée mythique. Ma destination ultime. […] Je m’imaginais parcourir l’Himalaya à la recherche des plus grands maîtres spirituels. » Le bouddhisme est idéalisé comme une profonde philosophie, en contraste avec une tradition catholique décrédibilisée.
Après les préambules québecois (et de premières perplexités), c’est, en 2005, le départ vers le Népal, puis la visite du Tibet. Cela commence par le contact avec le bruit, les foules, les fièvres, les réalités parfois sordides du sous-continent indien, les arnaques pour touristes et les exaspérations (voire crises de nerfs) que développe parfois le voyageur plongé dans tout cela. C’est la rencontre avec les réalités inévitablement contrastées de ces pays et du bouddhisme tel qu’il est vécu. L’album est un récit attachant et nuancé de belles rencontres et de rudes déceptions. Et malgré tout, au sortir du Tibet et de ses désagréments, cette déclaration à ses compagnons d’un voyage : « Mais moi, j’ai aimé ça au Tibet. C’était mon rêve. »
À Lumbini, lieu de naissance du Bouddha, l’un de ses interlocuteurs lui rappelle qu’on trouve aussi parmi les moines plus d’un hypocrite et dans les monastères tous les comportements aux antipodes de l’idéalisation (les moines « sont des êtres humains comme tout le monde »), plaçant finalement notre aspirant moine de plus en plus ébranlé face à la question cruciale : « Pourquoi veux-tu devenir moine au juste ? Tu sais, il y a plein de gens qui viennent ici pour devenir moines ou nonnes en pensant que leurs problèmes seront réglés, mais en réalité ils les fuient. » Notre voyageur est-il vraiment prêt à renoncer à tout ? Sous forme de BD bien maîtrisée, une belle illustration des voyages occidentaux vers un Orient rêvé comme source de spiritualité et une invitation à la réflexion.
Jean-Sébastien Bérubé, Comment je ne suis pas devenu moine, Paris, Futuropolis, 2017 (240 p.).
Blog du livre : http://berubd.blogspot.com