Même si ce n’est pas l’un de mes sujets de recherche, je lis avec intérêt, depuis des années, les informations et analyses à propos des controverses qui agitent la Communion anglicane, cette étonnante construction religieuse faisant cohabiter en son sein des approches plutôt diverses du christianisme. Il y a d’abord eu les tensions autour de l’accès des femmes au sacerdoce, puis des consécrations épiscopales féminines: cela a entraîné à la fois de petits schismes, avec des communautés se définissant comme la continuation de l’anglicanisme traditionnel (continuing Churches), et des aménagements pour tenter de satisfaire les uns et les autres, tels que les “évêques volants” (terme populaire pour désigner des visiteurs épiscopaux provinciaux), qui visitent les paroisses ne voulant pas de leur évêque territorial parce que celui-ci participe à des ordinations de femmes.
Malgré ces solutions pour le moins “créatives”, la Communion anglicane atteint aujourd’hui les limites des possibilités d’aménagements, car les initiatives qui irritent les fidèles de sensibilité traditionnelle se sont multipliées: la bénédiction de partenariats homosexuels et la consécration d’évêques ouvertement homosexuels a ainsi donné lieu à des vives polémiques depuis les années 1990. Mais la propriété des lieux de culte dans une Eglise à structure épiscopale présente des obstacles pour les paroisses qui choisiraient la voie de la séparation: aux Etats-Unis et au Canada, plusieurs paroisses qui avaient choisi cette voie ont perdu leur église et autres biens.
Si l’on se penche de plus près sur les groupes qui s’opposent aux innovations dans la Communion anglicane — tant les groupes qui demeurent encore en son sein que ceux qui ont formé des communautés séparées — l’on ne peut manquer d’être frappé par la variété de leurs convictions, à côté de ce qui motive aujourd’hui leur opposition aux orientations nouvelles de l’anglicanisme. Certains sont anglo-catholiques, avec une forte dimension liturgique; d’autres y mêlent des inclinations charismatiques; d’autres encore sont sur une ligne plutôt protestante évangélique. Mais ils se retrouvent tous ensemble.
Cette configuration a retenu l’attention de deux chercheurs de l’Université d’Aberdeen, Chritopher Craig Britten et Andrew McKinnon, qui ont consacré un article à “l’homosexualité et la construction d’une orthodoxie anglicane”, publié dans le dernier numéro de la revue américaine Sociology of Religion (automne 2011). Ils analysent l’attitude envers l’homosexualité comme un “marqueur symbolique” autour duquel se construisent des partenariats stratégiques, voire une nouvelle identité commune d’“anglicans orthodoxes”: chaque anglican se voit appelé à choisir son camp sur ce point, devenant ainsi une ligne de fracture. La question de l’homosexualité devrait plutôt être comprise comme le symptôme autour duquel vont se cristalliser des mécontentements quant aux orientations de l’anglicanisme. Elle voit donc se retrouver comme alliés des anglicans de sensibilité catholique et d’autres de sensibilité évangélique, des opposants à l’ordination des femmes et d’autres qui l’acceptent.
Le défi est de réussir à créer une “orthodoxie anglicane” à partir de tendances en partie contradictoires, et même aux antipodes, bien que tout le monde se retrouve autour de ce marqueur que représente l’homosexualité. L’enquête menée par les deux chercheurs met en évidence que les préoccupations principales des différents acteurs du camp “orthodoxe” sont loin d’être identiques. La question est de savoir si l’alliance présente permettra de créer une identité commune durable, et si celle-ci survivra quand apparaîtra que “leurs différences peuvent être au moins aussi nombreuses que ce qu’ils partagent en ce moment”.
Christopher Craig Britten et Andrew McKinnon, “Homosexuality and the Construction of ‘Anglican Orthodoxy’: The Symbolic Politics of the Anglican Communion”, Sociology of Religion, 72/3, automne 2011, pp. 351-373. Cette revue est publiée par l’Association for the Sociology of Religion (ASR).