Qu’il était simple, le monde européen dans lequel j’ai grandi! Et ce n’est pourtant pas si loin. Il y avait le camp libre et le camp communiste, des familles avec des pères et des mères, et bien d’autres repères grâce auxquels tout semblait (plus ou moins) clair. En tout cas bien loin de la diversité dont nos sociétés font aujourd’hui l’expérience, à différents niveaux.
J’y songeais encore en lisant hier, dans l’excellente revue française de prospective Futuribles (N° 396, sept.-oct. 2013), un intéressant article de Julien Damon sur “Les métamorphoses de la famille” en France. Bien que restant une institution très valorisée, à en croire les réponses aux sondages, la famille se décline au pluriel; “les formes familiales se diversifient et se fragilisent” (p. 14). Démariage (le mariage n’est plus la seule manière de légitimer une vie en couple), déspécialisation (plus de rôles clairement assignés au père et à la mère) et dénucléarisation (la famille nucléaire n’est plus le seul modèle dans la société postindustrielle) marquent les grands axes de ces évolutions, sur fond d’individualisation.
Ce soir, une autre facette de la complexité de nos sociétés se présente à moi de la façon la plus inattendue: en renouvelant mon adhésion à l’American Academy of Religion (AAR). Numériquement, l’AAR est sans doute la plus importante société académique du monde à réunir des spécialistes des religions, considérées sous tous les angles possibles. Lors de ses réunions annuelles, chaque automne en Amérique du Nord, plusieurs milliers de participants présentent, échangent et débattent dans le cadre de dizaines de sessions thématiques parallèles. J’ai eu le plaisir d’y participer plusieurs fois.
Mais l’AAR reflète aussi les préoccupations et l’évolution de la société contemporaine. Je le savais déjà: j’ai pourtant été surpris quand j’ai découvert, à la dernière étape du renouvellement en ligne de mon adhésion, le petit questionnaire (optionnel) sur le profil des membres, pour permettre à l’AAR de “mieux servir” ses adhérents. Outre les classiques questions sur l’année de naissance, le diplôme le plus élevé obtenu et l’appartenance ethnique, le formulaire m’interrogeait sur mon sexe… avec quatre options! Je pouvais choisir: homme, femme, transsexuel ou intersexuel — avec la possibilité d’ajouter des “informations complémentaires”, sans doute pour résoudre des appartenances sexuelles plus compliquées…
Choix plus grand encore pour la question suivante, qui s’intéressait à mon “orientation sexuelle”: pas moins de sept cases prévues! En ordre alphabétique, sans doute pour prévenir toute discrimination ou hiérarchisation: asexual, bisexual, gay, heterosexual, lesbian, queer ou… questioning! En effet, face à cette variété, rien d’étonnant si certain(e)s s’interrogent et ne savent plus très bien comment se définir. Ce monde, décidément, est devenu bien compliqué. (Et j’ai renoncé à répondre au questionnaire…)