Après ma conférence à la Société de lecture de Genève le jeudi 18 juin 2020, le président de cette vénérable institution me pria d’écrire quelques lignes dans le livre d’or — mais aussi de partager trois titres de livres que j’ai aimés ou qui m’ont marqué, pour les signaler à l’attention des membres, à côté de ma photographie. Peu importe qu’il s’agisse d’œuvres littéraires ou d’ouvrages scientifiques, de lectures anciennes ou récentes. J’étais libre de citer des lectures de jeunesse, des livres que j’aime offrir, des titres que je recommande…
Bien entendu, pas question de prendre la feuille et d’y réfléchir chez moi : il fallait répondre sur place. C’est le genre de demande pour laquelle j’aime pouvoir prendre mon temps, mais ce n’était pas possible. Or, il y a beaucoup de livres que j’ai aimés, que je consulte, que je suis heureux de voir dans ma bibliothèque… Mais en choisir trois, et si possible qui puissent intéresser d’autres lecteurs, ou au moins les intriguer ?…
Je me suis donc décidé. Ce ne sont peut-être pas ceux que j’aurais choisis si j’y avais réfléchi dans ma bibliothèque, tranquille et reposé. Mais, curieusement, ce sont tous des livres que j’avais lus à l’âge de 17 ans : intéressant que ces titres me viennent à l’esprit, tant d’années plus tard. Deux sont des romans, l’autre un ouvrage théologique : cela ne surprendra pas ceux qui connaissent ma biographie et mes intérêts.
Le premier titre que j’ai mentionné est La Colline inspirée de Maurice Barrès. « Il est des lieux qui tirent l’âme de sa léthargie, des lieux enveloppés, baignés de mystère, élus de toute éternité pour être le siège de l’émotion religieuse. » Ce roman historique, fondé sur des faits réels, met en scène, en Lorraine, l’histoire de trois frères prêtres, qui finissent par adhérer aux doctrines de l’Œuvre de miséricorde, un mouvement religieux indépendant autour d’un étrange prophète, Pierre-Michel-Eugène Vintras (1807-1875). Vers la même époque, j’avais lu la biographie de ce personnage par Maurice Garçon (Vintras, hérésiarque et prophète, Paris, Émile Nourry, 1928). Mon intérêt pour les mouvements religieux non conformistes était précoce, et cette référence littéraire est venue opportunément le rappeler…
Le deuxième titre est un roman publié à l’origine en 1972 par l’éditeur français Robert Morel, Le Trêtre, sous la signature de Lavr Divomlikoff. Il s’agissait d’un anagramme du nom de Vladimir Volkoff, dont j’ai lu presque tout l’œuvre avec délectation. ce roman d’espionnage a été depuis republié sous le vrai nom de son auteur. C’est l’histoire d’un agent de renseignement soviétique infiltré dans les rangs du clergé pour espionner l’Église et les croyants, et obligé de devenir un prêtre irréprochable pour accomplir sa mission — ce qui explique le jeu de mot du titre. Je me souviens que ce livre m’avait été recommandé par l’inoubliable relieur lausannois Claude Zeller, qui était également diacre dans la petite paroisse locale de l’Église catholique orthodoxe de France (ECOF). Dans le sillage du thème de ce roman, il faut lire un autre ouvrage de Volkoff, Le Retournement, qui contient des scènes inoubliables, comme la confession d’un major du KGB à un prêtre orthodoxe.
Enfin, le troisième titre était une lecture improbable à l’âge de 17 ans : un ouvrage théologique de Myrrha Lot-Borodine, La Déification de l’Homme selon la doctrine des Pères grecs, préfacé par le cardinal Jean Daniélou, et publié en 1970 aux Éd. du Cerf. Ce volume m’avait été recommandé par un vieil évêque indépendant, Mgr Louis-Paul Mailley, qui — âgé de 60 ans de plus que moi — prenait la peine de répondre longuement à mes courriers (« mon cher petit ami… ») et de me faire de pertinentes suggestions. Je n’étais pas en mesure de comprendre vraiment tout ce que j’y lisais, mais ce que j’en avais compris me bouleversa, et ne fut certainement pas étranger à mon orientation vers l’Orthodoxie, deux ans plus tard.
Eh oui, telles étaient mes lectures, à l’âge de 17 ans…