Dans un bus au centre de la ville de Fribourg, non loin de moi, est assis un jeune homme d’origine africaine. Le haut-parleur du véhicule annonce le prochain arrêt : « Saint-Pierre ». Aussitôt, le jeune homme fait un signe de croix. Je ne m’y attendais pas, mais ce rappel peu courant du religieux dans l’espace public m’a réjoui.
Quand j’étais adolescent, un aumônier m’avait recommandé la pratique de l’oraison jaculatoire, c’est-à-dire une « prière extrêmement brève adressée à Dieu au cours de nos journées, de nos occupations » (définition donnée sur le site de l’Église catholique en France) : par exemple en voyant une croix au bord du chemin ou une statue de saint sur une façade, suggérait ce prêtre, oraison qui peut rester intérieure, mais réoriente vers l’essentiel. Je n’avais pourtant jamais pensé aux noms de rue ou d’arrêts de transports publics pour servir d’occasion à ces élans du cœur croyant.
Par leur histoire et leur passé religieux, certaines régions offrent de nombreux rappels de ce genre, pour autant qu’on veuille les voir ; ailleurs, les ruptures religieuses, les épisodes iconoclastes ou les priorités très différentes de la modernité les ont effacés ou ignorés. Qui construit aujourd’hui un immeuble, au cœur d’une ville, en plaçant une statue de saint à l’angle de la maison ? Dans bien des pays occidentaux, il n’est plus courant de voir des passants exprimer leur dévotion par des gestes extérieurs dans l’espace public : la religion est reléguée à la sphère privée. C’est moins rare dans des régions de l’Europe méridionale, par exemple dans le Sud de l’Italie ou en Grèce. Et c’est le cas aussi dans d’autres régions du monde : en Inde, j’ai plus d’une fois observé des personnes qui, passant devant un temple, même fermé, marquaient un temps d’arrêt pour quelques gestes de piété.