En présentant son rapport pour l’exercice 2018, la direction du groupe Nestlé a annoncé son intention de céder ses charcuteries Herta. Le directeur général du groupe a expliqué : « L’alimentation végétale est beaucoup plus prometteuse que les aliments carnés. » (« Nestlé veut vendre Herta et se recentrer sur les produits végétariens », Les Marchés, 14 février 2019)
Cette réorientation m’avait paru constituer un indicateur à la fois d’une transformation sociale en cours et de la réorientation d’intérêts commerciaux pour en tenir compte. Et voici que je reçois le N° 25 (daté de mars 2019) de la revue trimestrielle We Demain, un périodique dont j’aurai l’occasion de reparler. Une enquête de Gilles Luneau s’intéresse aux soutiens financiers indirects accordés à des organisations activistes véganes par des hommes d’affaires — notamment des milliardaires de la Silicon Valley — qui investissent en même temps dans la nouvelle industrie agro-alimentaire sans protéines animales. Non, il ne s’agit pas de tirer de ces liens la conclusion d’un complot, affirme l’auteur : « En revanche, ils révèlent une mobilisation économique et financière prête à profiter de l’ébranlement moral provoqué par l’activisme végan pour substituer au marché des produits carnés celui de l’agriculture cellulaire », faisant ainsi « le lit d’une nouvelle industrie d’artificialisation de la nourriture. »
Qu’en penser ? Dans son article de 6 pages, Luneau énumère plusieurs organisations qui — grâce à leurs riches mécènes du monde anglophone — financent tant des initiatives véganes que « plusieurs labos et start-up » qui élaborent des produits pour le « marché de la post-viande ». En consultant les sites de certaines fondations ou autres structures mentionnées, on a l’impression que ce mécénat relève probablement, au moins en partie, de convictions ou sympathies réelles des donateurs. En outre, il s’agit de milieux d’innovateurs, autant à l’affût de pistes d’avenir que le modelant eux-mêmes. Mais ils raisonnent aussi comme investisseurs : les perspectives économiques ne sont pas négligeables, comme le montre la décision de Nestlé. Ainsi, l’entreprise Beyond Meat (soutenue notamment par Bill Gates), qui fabrique des aliments à base de plantes reproduisant la viande, a réussi à lever 72 millions de dollars de financement : elle est dirigée par un végan, qui réussit à s’engager dans une activité potentiellement (très) rentable tout en agissant pour promouvoir ses idéaux. Le mérite de l’article de Luneau est d’attirer notre attention sur l’ouverture d’un profitable marché grâce à la mode du véganisme : l’activisme de ses militants contribue aussi à créer chez les consommateurs une ouverture à de nouvelles pratiques alimentaires et à de nouveaux types d’alimentation, avec de gros profits à la clef pour qui aura su occuper ces positions en temps opportun.