Sur certaines lignes ferroviaires, en Suisse, les sections de 1ère classe comportent un espace silence, destiné aux voyageurs qui souhaitent éviter les conversations, la musique écoutée par un voisin ou les envahissants appels téléphoniques. J’apprécie cette possibilité, car je lis et travaille le plus souvent quand je voyage en train. J’en respecte donc scrupuleusement les règles. Cet espace silence devient parfois celui de relations conflictuelles entre voyageurs. Je pourrais raconter plus d’un épisode pittoresque — le plus souvent comme témoin, rarement en intervenant face à de trop manifestes abus. La plupart du temps, je me montre patient. Une fois aussi, il m’est arrivé d’avoir droit à une remarque légitime, il y a une vingtaine d’années, à propos de l’usage d’un ordinateur portable : je ne m’étais pas rendu compte que le clavier dérangeait mes voisins. Je me suis excusé et, depuis, je m’abstiens d’utiliser tout clavier (sauf virtuel) dans un espace silence. Aujourd’hui, cependant, j’ai eu droit à une remarque, mais celle-ci me laisse un peu perplexe.
En général, je me plonge dans un livre. Quand je me trouve à bord d’un train le dimanche, cependant, je profite volontiers d’une partie du trajet pour passer en revue quelques titres de la presse dominicale. Cet après-midi, confortablement installé et plongé dans ma lecture, je vois un soudain un voyageur passer devant moi en me demandant de faire moins de bruit. Face à ma mine interloquée, il m’explique que je fais trop de bruit en tournant les pages du journal. « Ne pas faire de bruit en tournant des pages… », lui réponds-je doucement avec un geste mi-contrit mi-amusé…
Des citoyens d’autres pays que la Suisse réagiraient par une escalade ou un refus délibéré d’obtempérer. Mais nous sommes culturellement prédisposés à éviter le conflit et à rechercher des solutions de compromis. Pas question de renoncer à lire mon journal (il ne faut quand même pas exagérer !), mais je poursuis ma lecture en devenant très attentif à la nuisance sonore que pourrait créer mon activité. Bien entendu, chaque page tournée me semble soudain produire un vacarme mettant en péril la coexistence pacifique et m’attirant la réprobation des voyageurs. Pas moyen de tourner une page du Matin Dimanche sans que cela s’entende — si je pouvais mettre le journal à plat, sur une table, j’y parviendrais peut-être, mais pas en le tenant des deux mains, et la tablette près du siège est trop petite.
Une idée me vient soudain : et si j’essayais un autre titre de la presse dominicale ? Je replie aussi silencieusement que possible mon exemplaire du Matin Dimanche, j’ouvre prudemment la NZZ am Sonntag en prenant soin d’en séparer les cahiers au préalable. Et je découvre que la NZZ am Sonntag est moins bruyante que le Matin Dimanche ! Est-ce le papier, le poids de l’encre, ou la réconfortante illusion de quelques micro-décibels en moins ? Toujours est-il que je recommande désormais la lecture de la NZZ am Sonntag dans l’espace silence d’un wagon des CFF, si l’on tient témérairement à y lire un journal. En attendant qu’on invente un papier journal silencieux (ou que je passe à la tablette pour la lecture de la presse), je remercie chaleureusement la NZZ am Sonntag pour sa contribution à la paix dominicale !