Récemment, j’ai donné une conférence sur quelques aspects de l’évolution de la situation religieuse en Suisse à un groupe de responsables d’Églises chrétiennes issues de la migration dans la région de Genève. Même si le phénomène lui-même n’est pas nouveau, à commencer par l’arrivée de réfugiés protestants après la Réforme, la présence de communautés liées à des migrations s’est notablement accrue depuis les années 1980, avec une explosion de groupes de type évangélique. Elles incluent à la fois des groupes associés aux principales confessions du pays et des communautés associées à d’autres branches du christianisme. L’Institut de sociologie pastorale de Saint-Gall (SPI) a publié en 2016 une étude sur les communautés chrétiennes de la migration en Suisse. L’intérêt de cette recherche est qu’elle s’appuie sur les résultats d’un questionnaire soumis aux responsables de ces communautés, et qu’elle fait donc aussi entendre leurs voix, outre les indications statistiques recueillies. Adressé à 635 communautés, le questionnaire a reçu 370 réponses. Quatre catégories de groupes : les « Églises évangéliques » (148), les communautés catholiques et uniates (118, avec dominante des missions linguistiques italiennes, espagnoles et portugaises), les Églises évangéliques historiques (70) et les Églises orthodoxes (34). L’importance statistique varie : 127 communautés ayant répondu comptent moins de 100 membres.
Les lecteurs intéressés par le sujet et comprenant l’allemand liront ce livre de 250 pages ; la présentation des résultats de l’enquête y est complétée par des commentaires et mises en perspective, rédigées par plusieurs auteurs. Le volume révèle des chiffres intéressants sur les réseaux chrétiens auxquels les communautés sont liées en Suisse (par exemple le Réseau évangélique suisse [RES] et son pendant alémanique, la Schweizerische Evangelische Allianz [SEA], pour 47 communautés évangélique, la Conférence des Églises africaines en Suisse [CEAS] pour 23 communautés). Il donne des informations sur les périodes d’implantation des communautés, accompagnant différentes vagues migratoires. Il nous renseigne sur le degré de plurilinguisme et de multinationalité (nous apprenons que 60 % des communautés évangéliques de migrants ayant répondu à l’enquête utilisent plusieurs langues dans leurs services religieux). 73 % des communautés évangéliques et orthodoxes sont organisées sous la forme juridique d’associations, et la grande majorité se financent entièrement elles-mêmes.
Un élément a particulièrement retenu mon attention : le regard porté sur la Suisse et ses Églises (le livre offre aussi des aperçus sur les intéressants commentaires individuels qui accompagnaient ces réponses). Une majorité des communautés chrétiennes de migrants estiment que « la foi chrétienne en Suisse est en crise » : 50,4 % des nouvelles Églises évangéliques sont d’accord avec cette affirmation, et 31,7 % se disent plutôt d’accord ; ce sentiment est partagé dans les communautés catholiques et uniates (38,7 % d’accord et 46,8 % plutôt d’accord). Les Églises chrétiennes en Suisse ne sont pas vraiment perçues comme un modèle pour les communautés de migrants — à l’exception de la moitié des communautés orthodoxes (21,2 % d’accord et 30,3 % plutôt d’accord). En fait, une bonne majorité des communautés évangéliques nouvelles estiment que ce sont plutôt elles qui pourraient servir de modèles aux Églises chrétiennes en Suisse ! De même, ces communautés évangéliques estiment massivement que la Suisse doit à nouveau être évangélisée (71,4 % d’accord et 21,4 % plutôt d’accord), une opinion que partagent nombre de communautés catholiques et uniates (45,9 % d’accord et 36,9 % plutôt d’accord) ; un nombre important de ces communautés de migrants estiment qu’elles ont un rôle à jouer dans cette nouvelle évangélisation. Et beaucoup d’entre elles tendent à penser que les Églises en Suisse s’adaptent trop fortement à la société actuelle (41,7 % d’accord et 36,4 % plutôt d’accord chez les nouvelles communautés évangéliques, 20,7 % et 44,1 % parmi les catholiques et uniates, 23,5 % et 32,4 % chez les orthodoxes).
Judith Albisser et Arnd Bünker (dir.), Kirchen in Bewegung. Christliche Migrantionsgemeinden in der Schweiz, Saint-Gall, Edition SPI, 2016 (250 p.).
Comme les autres publications du SPI, le livre peut être commandé sur sa librairie en ligne : https://shop.spi-sg.ch/